Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/31

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pas davantage à la nécessité d’accroître la masse des signes monétaires, et cela même dans une progression telle, qu’il faudrait bientôt des montagnes de papier pour acquérir ce qui se paye aujourd’hui avec quelques grains d’or ou d’argent. En outre, la suppression de l’impôt ne serait que nominale, car l’on ne se décharge pas en réalité du fardeau des charges publiques, quand on est contraint de recevoir une monnaie dont le prince peut, d’un trait de plume, avilir la valeur. Une répartition inique de l’impôt serait la seule conséquence d’un pareil système.

Cette solide étude sur le crédit et la monnaie tire une immense valeur de sa date. Nous le répétons à dessein, parce que nous y voyons une preuve nouvelle en faveur de l’opinion, glorieuse pour la France, que les écrivains du dix-huitième siècle ont eu, dans la création de la belle science de l’économie politique, une part beaucoup plus considérable que celle qui leur a été accordée jusqu’à ce jour.

À la fin de la même année 1749, Turgot fut nommé prieur de Sorbonne. Le priorat était une espèce de dignité élective, qui imposait à celui qui en était revêtu l’obligation de prononcer un discours latin à l’ouverture et à la fermeture des cours de l’école. L’accomplissement de ce devoir fournit à Turgot, en 1750, l’occasion d’exposer les principes d’une philosophie généreuse et pure, dont sa vie tout entière peut être considérée comme la traduction, et qui se résume véritablement dans ces trois mots : Ordre, liberté, progrès. À ses yeux, l’ordre c’est la justice, dont l’homme trouve les lois gravées au fond de sa conscience ; la liberté, le droit de faire tout ce qui n’est pas contraire au droit d’autrui ; le progrès, le développement graduel de la puissance de l’homme sur la matière, et celui surtout de sa moralité. C’est du point de vue de cette doctrine qu’il considère, dans le premier de ses, discours, les avantages que le monde a retirés de l’avènement du christianisme ; et qu’il trace, dans le second, le tableau général des progrès de l’esprit humain. Dans tous deux, il est facile d’apercevoir, à travers les formes que sa position et l’auditoire en présence