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gleterre borneront nos exportations : vraisemblablement nous ne ferons que partager avec cette puissance la part qu’elle a dans ce commerce. Peut-être même exporterons-nous moins encore.

Quoi qu’il en soit, ce que nous mettrons en vente au marché général[1] ne diminuera certainement pas la somme des offres, et n’augmentera pas la somme des besoins. Un marchand de plus arrivant au marché ne fait pas augmenter le prix ; le taux du marché général diminuera donc plutôt que d’augmenter. Or, dans l’état actuel, le prix moyen du consommateur dans la capitale et dans les provinces adjacentes, en y faisant entrer les temps de disette, est plutôt au-dessus qu’au-dessous du prix du marché général, lequel est d’environ 20 livres le setier de Paris. Il n’y aura donc point d’augmentation dans les prix moyens, puisque la liberté ne peut jamais porter ce prix au-dessus du taux du marché général.

Il y a au contraire des raisons très-fortes pour croire que ce prix moyen diminuera. J’ai remarqué plus haut que le prix est formé par la comparaison de la somme des productions à la somme des demandes. Il doit donc diminuer quand la somme des productions augmente en plus grande proportion que la somme des besoins. Or, cet accroissement dans la production est une chose plus que probable. Si l’augmentation de la culture doit être une suite de l’augmentation des profits des cultivateurs, dès que la terre produit davan-

  1. Il est aisé de comprendre que de même que la concurrence entre les vendeurs et celle entre les acheteurs forment dans chaque lieu particulier ce qu’on appelle le prix du marché, de même la concurrence entre les négociants des diverses nations qui ont du grain à vendre, et celle entre les négociants des nations qui ont besoin d’acheter, déterminent un prix commun entre les principales nations commerçantes, qu’on peut considérer comme réunies pour former une espèce de marché général. Ce marché ne se tient pas dans un lieu unique ; mais la facilité du transport par mer fait qu’on peut considérer les ports des principales nations commerçantes, et surtout de celles qui par leur situation entre le nord et le midi de l’Europe, et par une liberté ancienne et habituelle du commerce des grains, sont devenues l’entrepôt le plus ordinaire de ce commerce, comme formant une espèce de marché unique et général. Dans l’état actuel de l’Europe, les ports de Hollande et d’Angleterre sont pour ainsi dire le lieu où se tient ce marché général, dont les prix peuvent être considérés comme étant, et sont réellement le prix commun du marché de l’Europe. — Les ports de France, beaucoup mieux situés pour ce commerce, leur enlèveraient cet avantage si la liberté du commerce des grains y était établie, et mettraient en France, par conséquent, le plus qu’il soit possible à la portée des Français, les magasins de ce commerce : d’où suit que les Français en auraient les grains à meilleur marché que les autres nations de la totalité des frais de voiture que pourrait exiger la réexportation. (Note de l’auteur.)