Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/330

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ne peut nier qu’ils n’en fussent plus riches : mais ils ne sont pas si dupes, et ils ont un emploi bien plus lucratif à faire de leurs fonds ; cet emploi est de les reverser dans leur entreprise de culture, d’en grossir la masse de leurs avances, d’acheter des bestiaux, des instruments aratoires, de forcer les fumiers et les engrais de toute espèce, de planter, de marner les terres, s’ils peuvent obtenir de leurs propriétaires un second bail à cette condition.

Toutes ces avances ont pour objet immédiat d’augmenter la masse des productions au profit de tout l’État, et de donner aux cultivateurs un profit annuel. Il faut que ce profit soit plus grand que l’intérêt ordinaire de l’argent prêté, car sans cela le propriétaire du capital aimerait mieux le prêter. Il faut aussi que ce profit soit réservé en entier au fermier cultivateur, sans qu’il fasse la moindre part au propriétaire : car si ce profit n’était pas en entier pour le fermier, il préférerait de placer son argent d’une autre manière pour n’en partager l’intérêt avec personne. Voilà donc une augmentation de richesses permanente au profit des cultivateurs, égale au moins à l’intérêt du revenu annuel de tous les fermages, converti en capital ; c’est assurément beaucoup[1].

Cet article est absolument étranger à l’augmentation des baux qui fait le profit du propriétaire, il rend seulement le revenu plus solide en assurant davantage la solvabilité du fermier.

Mais ce n’est par tout ; ce capital et cet intérêt constamment assurés au fermier cultivateur, et constamment employés par lui à

  1. Il n’est pas toujours exact de dire que le profit entier du capital appliqué par le fermier à la culture soit pour lui. L’intérêt des capitaux appliqués à toute espèce de travail baisse ou hausse simultanément ; c’est l’abondance ou la rareté de ces capitaux qui le détermine. Si les capitaux sont abondants, il y aura plus de commerce parmi les fermiers comme parmi tous les autres industriels, et le propriétaire ne pourra manquer d’en profiter. Le profit du fermier sera toujours, il est vrai, plus grand que le simple intérêt de l’argent ; mais il ne faut pas oublier que cet intérêt aura baissé, et que si avant cette période d’abondance l’intérêt était par exemple de 6, et le profit du travail de 10, il pourra bien arriver pendant cette période que l’intérêt descende à 3 et le profit à 6.

    Il est bien évident alors que le propriétaire aura sa part de profit, et si ce profit du fermier est ainsi réduit, c’est qu’une partie en est nécessairement venue accroître la rente du propriétaire.

    Quoi qu’il en soit, il y a dans un tel état de choses accroissement évident de richesses, et Turgot avait raison de recommander la liberté qui devait l’amener, et l’on peut voir, quelques lignes plus loin, que l’auteur prémunit le ministre contre ce que semble avoir d’absolu sa proposition. (Hte Dussard).