Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/35

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craindre de toucher un homme de basse naissance ; de là, la tyrannie des grands envers le peuple dans les aristocraties héréditaires, le profond abaissement et l’oppression des peuples soumis à d’autres peuples. Enfin, partout les plus forts ont fait les lois et ont accablé les faibles ; et, si l’on a quelquefois consulté les intérêts d’une société, on a toujours oublié ceux du genre humain.

« Pour y rappeler les droits et la justice, il fallait un principe qui pût élever les hommes au-dessus d’eux-mêmes et de tout ce qui les environne, qui pût leur faire envisager toutes les nations et toutes les conditions d’une vue équitable, et en quelque sorte par les yeux de Dieu même ; c’est ce que la religion a fait. En vain les États auraient été renversés, les mêmes préjugés régnaient par toute la terre, et les vainqueurs y étaient soumis comme les vaincus. En vain l’humanité éclairée en aurait-elle exempté un prince, un législateur : aurait-il pu corriger par ses lois une injustice intimement mêlée à toute la constitution des États, à l’ordre même des familles, à la distribution des héritages ? N’était-il pas nécessaire qu’une pareille révolution dans les idées des hommes se fît par degrés insensibles, que les esprits et les cœurs de tous les particuliers fussent changés ? Et pouvait-on l’espérer d’un autre principe que celui de la religion ? Quel autre aurait pu combattre et vaincre l’intérêt et le préjugé ainsi réunis ? Le crime de tous les temps, le crime de tous les peuples, le crime des lois mêmes, pouvait-il exciter des remords, et produire une révolution générale dans les esprits ? — La religion chrétienne seule y a réussi. Elle seule a mis les droits de l’humanité dans tout leur jour. On a enfin connu les vrais principes de l’union des hommes et des sociétés ; on a su allier un amour de préférence pour la société dont on fait partie, avec l’amour général de l’humanité. »

Le second Discours en Sorbonne[1] est une esquisse rapide et brillante de l’histoire des progrès de l’esprit humain. Il est surtout remarquable, en ce que la conception philosophique

  1. Prononcé le 11 décembre 1750.