Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/350

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Peut-on douter que la liberté ne produise nécessairement l’effet d’égaliser les prix ? De ce que les récoltes réussissent dans un lieu et manquent dans un autre, de ce que des années stériles, suivant l’ordre de la nature, succèdent de temps en temps aux années abondantes, et de ce que le besoin des consommateurs met un plus haut prix à la denrée, à raison de ce qu’elle devient moins commune, il suit évidemment qu’il y a un très-grand intérêt à porter du grain des lieux où il est abondant dans ceux où il est rare, à en mettre en magasin dans les bonnes années, afin de le réserver pour les besoins des mauvaises. Il s’ensuit, par conséquent, que la chose se fera si aucune circonstance n’y met obstacle, et si on laisse agir le commerce ; car le commerce ayant pour objet de gagner, ne peut manquer d’en saisir les occasions. Il est donc évident qu’avec la liberté le grain ne peut manquer à la subsistance des hommes, même dans les lieux où la récolte a manqué. — Dans les années stériles, le commerce y pourvoira ou par le transport, ou par le magasinage ; et s’il n’y pourvoit pas, c’est que l’administration a mis quelque obstacle au cours naturel des choses, c’est parce qu’elle a gêné, avili le commerce et l’a empêché de se former. Avec la liberté, le commerce se formera ; et avec le commerce, le prix se mettra partout de niveau ; en sorte que la différence des prix entre le pays où il est le plus cher et le pays où il l’est le moins, ne sera jamais plus forte que les frais et les risques des voitures joints au profit nécessaire du com-

    pas convaincu, par l’analyse de Dupont de Nemours, que les années de grande abondance, les années où les cultivateurs se disent ruinés, soient en même temps des années de stagnation des affaires en général. L’expérience prouve au contraire que c’est dans ces années que le travail est le plus actif. Et cela doit être en effet. Et selon Turgot lui-même, puisqu’il dit ailleurs que la subsistance est le fonds du salaire.

    Mais Turgot n’en a pas moins raison de dire que c’est surtout l’inégalité des prix qui est funeste à la prospérité générale. — Que les prix soient normalement élevés, bientôt tout se nivèle ; mais que l’élévation soit subite, à l’instant même il y a perturbation dans les conditions du travail. — Voici comment arrive cette perturbation. — Obligé à dépenser pour son pain une somme plus considérable, 20 centimes, par exemple, le salarié est forcé de restreindre d’autant ses autres dépenses. Il achète moins d’habits, moins de souliers, moins de sucre, moins de café, bref il distrait 20 centimes de ses dépenses ; c’est 75 francs par an dont il prive la production manufacturière. — Si 10 millions d’hommes font à la fois cette économie, c’est 750 millions de moins pour le fonds du salaire des ouvriers de ces manufactures. — Elles restreignent donc leur travail, congédient des travailleurs et abaissent les salaires. — Voilà comment il se fait que les salaires s’abaissent quand le prix du blé augmente. (Hte D.)