Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/365

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proportion dans les années de bas prix, parce que si d’un côté ce bas prix rend le peuple paresseux et diminue la concurrence des travailleurs, de l’autre ce bas prix ôte aux cultivateurs et par contrecoup aux propriétaires les moyens de faire travailler. D’un autre côté, l’augmentation des prix dans les années de cherté non-seulement n’entre pour rien dans la fixation du prix des salaires, mais elle tend plutôt à le diminuer. En effet, la misère du peuple bannit la paresse, et lui rend le travail si nécessaire qu’il le met au rabais. Tous ceux d’entre les propriétaires qui ont un revenu fixe, et même, dans le cas de cherté excessive, tous ceux qui sont en état de faire travailler, souffrent eux-mêmes par l’augmentation de leurs dépenses et n’en sont pas dédommagés par l’augmentation de leurs revenus (car il ne faut point se lasser de répéter qu’il n’y a que l’égalité des prix qui forme l’augmentation du revenu des cultivateurs, et qu’ils ne sont pas dédommagés par le haut prix, dans les années disetteuses, du bas prix des années abondantes, parce que la quantité qu’ils vendent est moindre dans une plus grande proportion que la hausse des prix). Ils sont donc eux-mêmes peu en état de faire travailler ; le plus souvent ils ne s’y déterminent que par des motifs de charité et en profitant de l’empressement des travailleurs à baisser les salaires. Ainsi non-seulement les salariés ne participent en rien à la secousse que la cherté passagère donne au prix, mais ils ne participent pas même à ce dont cette cherté passagère augmente les prix moyens. Ce sont cependant principalement les années de cherté qui rendent les prix moyens plus hauts, même dans les pays où le défaut de liberté du commerce entretient un prix habituel assez bas et fort au-dessous du prix moyen. Il suit de là que sans que le prix moyen des subsistances hausse contre le consommateur, le prix des salaires haussera à son profit par la seule égalisation de ce prix moyen entre les années abondantes et stériles, parce qu’alors le prix moyen se confondra avec le prix habituel, et que c’est toujours au prix habituel que le prix des salaires se proportionne.

Je ne puis me refuser ici une réflexion. Je vous ai démontré dans ma lettre écrite de Tulle, et avec encore plus de détail dans celle de Bort, que la liberté du commerce et l’égalisation des prix devaient seules, le prix moyen restant le même pour les consommateurs, assurer aux cultivateurs, aux propriétaires et à l’État une augmentation immense de profits et de revenus. Je crois vous avoir dé-