Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/371

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L’augmentation du revenu des propriétaires, par ces deux causes, les a mis en état de faire travailler davantage, et l’augmentation du travail a fait hausser les salaires. La construction de plusieurs grands édifices à Limoges et le parti que j’ai pris depuis plusieurs années de supprimer les corvées et de faire les chemins à prix d’argent, y ont aussi eu quelque part. Quoi qu’il en soit des causes, le fait est constant.

J’ai prouvé, je crois, que dans les provinces même où le prix des grains pourra hausser le plus pour se rapprocher du niveau du marché général, le peuple consommateur n’en souffrira pas. Ce n’est point assez ; je dois prouver encore qu’il y gagnera : en effet, il y doit trouver un avantage inappréciable.

Le défaut de liberté et l’inégalité du prix qui en résulte exposent nécessairement tous les peuples qui vivent sous l’empire des prohibitions à des disettes fréquentes : à cet égard, les lieux les plus favorisés par la facilité des abords, et que le commerce serait le plus à portée d’approvisionner, souffrent comme les autres de la mauvaise police à laquelle ils sont assujettis. Mais ce malheur est plus fréquent et plus grave pour les habitants des provinces éloignées de la mer et des rivières navigables : et l’inégalité des prix y est plus grande, plus funeste au peuple, par une autre cause, le bas prix auquel les consommateurs sont accoutumés. Ce bas prix habituel, d’après lequel s’est fixé le taux de leurs salaires, est fort inférieur au prix du marché général. Cela posé, que la récolte manque, le vide ne peut être rempli que par l’importation ; il faut donc commencer par acheter du grain dans les ports ou chez l’étranger au prix du marché général. Ce prix est déjà un prix très-haut et au-dessus des facultés des consommateurs dans le pays qui a besoin. Cependant il y faut encore ajouter les frais de transport très-considérables qu’exige la situation méditerranée de la province, et c’est alors que la cherté devient exorbitante ; c’est alors que le consommateur manque absolument de moyens pour se procurer la denrée, et que les propriétaires sont obligés de se cotiser pour lui fournir des secours gratuits et l’empêcher de mourir de faim.

Si au contraire le prix n’eût pas été fort différent du prix du marché général, il ne faudrait qu’ajouter au prix les frais de transport, et l’augmentation serait moins sensible, moins disproportionnée avec le taux ordinaire des salaires. En un mot, le prix de