Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/381

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valeur de la quantité totale des grains qui sont convertis en farine. Cette quantité, étant naturellement égale à la consommation, ne diminuerait pas par la suppression de la banalité, et par conséquent la totalité des moulins conserverait le même revenu. Seulement la liberté qu’auraient les contraignables de préférer, en cessant de l’être, le moulin qui les servirait le mieux, donnerait plus d’émulation aux meuniers, et détruirait à la longue les abus de la mouture.

Il n’y aurait de retranché que la partie du revenu provenant de l’abus du privilège exclusif, et de la facilité qu’il donne pour frauder. Ce genre de propriété n’est assurément pas bien favorable ; mais je veux qu’on ait pour elle tout l’égard qu’on aurait pour la propriété la plus respectable ; toujours est-il vrai qu’elle ne formerait qu’une portion assez faible du revenu des moulins et du prix des baux. Ce serait, je crois, le porter trop haut que de l’évaluer au quinzième du prix de ces baux. En fixant le remboursement sur le pied du capital de ce quinzième, les communautés n’achèteraient pas trop les avantages de la liberté, et les seigneurs qui conserveraient leurs moulins gagneraient plus qu’ils ne perdraient.

Je ne pense pas qu’on opposât à des arrangements aussi utiles les grands principes sur le respect dû aux propriétés. Ce serait une contradiction bien étrange que ce respect superstitieux pour des propriétés qui, dans leur origine, sont presque toutes fondées sur des usurpations, et dont le meilleur titre est la prescription qu’elles ont acquise contre le public ; tandis qu’on se permet de violer, sous prétexte d’un bien très-mal entendu, la propriété de toutes la plus sacrée, celle qui seule a pu fonder toutes les autres propriétés, la propriété de l’homme sur le fruit de son travail, la propriété du laboureur sur le blé qu’il a semé et qu’il a fait naître, non-seulement à la sueur de son front, mais avec des frais immenses ; la propriété du marchand sur la denrée qu’il a payée avec son argent.

C’est encore une autre contradiction non moins étrange, que la facilité avec laquelle on se prête à renverser toutes les idées de la justice, à rendre incertain le sort des cultivateurs, à diminuer la source des revenus publics et particuliers ; tout cela sous prétexte de soulager les consommateurs, qu’on ne soulage point ; tandis qu’on laisse froidement subsister des impôts sur cette denrée de première nécessité, tandis qu’on la laisse assujettie à une foule de droits, de privilèges exclusifs et de surcharges de toute espèce, dont