Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/408

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d’honneur et tout ce qui peut présenter à un plus grand nombre d’hommes un objet d’émulation.

Telle était à peu près la manière de penser de M. de Gournay sur l’administration du commerce ; ce sont les principes qu’il a constamment appliqués à toutes les affaires qui ont été agitées au bureau du commerce depuis le moment où il y entra. Comme il ne pensait nullement à faire un système nouveau, il se contentait de développer, à l’occasion de chaque affaire en particulier, ce qui était nécessaire pour soutenir son avis ; mais on ne fut pas longtemps sans être frappé de la liaison et de la fécondité de ses principes, et bientôt il eut à soutenir une foule de contradictions.

Il se prêtait avec plaisir à ces disputes, qui ne pouvaient qu’éclaircir les matières et produire de façon ou d’autre la connaissance de la vérité. Dégagé de tout intérêt personnel, de toute ambition, il n’avait pas même cet attachement à son opinion que donne l’amour propre : il n’aimait et ne respirait que le bien public ; aussi proposait-il son opinion avec autant de modestie que de courage. Également incapable de prendre un ton dominant et de parler contre sa pensée, il exposait son sentiment d’une manière simple, et qui n’était impérieuse que par la force des raisons qu’il avait l’art de mettre à la portée de tous les esprits avec une sorte de précision lumineuse dans l’exposition des principes, que fortifiait une application sensible à quelques exemples heureusement choisis. — Lorsqu’il était contredit, il écoutait avec patience ; quelque vive que fût l’attaque, il ne s’écartait jamais de sa politesse et de sa douceur ordinaires, et il ne perdait rien du sang-froid ni de la présence d’esprit nécessaires pour démêler avec la plus grande netteté l’art des raisonnements qu’on lui opposait.

Son éloquence simple, et animée de cette chaleur intéressante que donne aux discours d’un homme vertueux la persuasion la plus intime qu’il soutient la cause du bien public, n’ôtait jamais rien à la solidité de la discussion ; quelquefois elle était assaisonnée par une plaisanterie sans amertume, et d’autant plus agréable qu’elle était toujours une raison.

Son zèle était doux, parce qu’il était dégagé de tout amour-propre ; mais il n’en était pas moins vif, parce que l’amour du bien public était une passion dans M. de Gournay.

Il était convaincu, sans être trop attaché à son opinion ; son esprit,