Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/436

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tire aucun fonds de la circulation générale ; les terres ne sont point irrévocablement possédées par des mains paresseuses, et leurs productions, sous la main d’un propriétaire actif, n’ont de borne que celle de leur propre fécondité. Qu’on ne dise point que ce sont là des idées chimériques : l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande sont remplies de pareilles sociétés, et en ressentent, depuis plusieurs années, les heureux effets. Ce qui a lieu en Angleterre peut avoir lieu en France ; et quoi qu’on en dise, les Anglais n’ont pas le droit exclusif d’être citoyens. Nous avons même déjà dans quelques provinces des exemples de ces associations qui en prouvent la possibilité. Je citerai en particulier la ville de Bayeux, dont les habitants se sont cotisés librement pour bannir entièrement de leur ville la mendicité, et y ont réussi en fournissant du travail à tous les mendiants valides, et des aumônes à ceux qui ne le sont pas. Ce bel exemple mérite d’être proposé à l’émulation de toutes nos villes : rien ne sera si aisé, quand on le voudra bien, que de tourner vers des objets d’une utilité générale et certaine l’émulation et le goût d’une nation aussi sensible à l’honneur que la nôtre, et aussi facile à se plier à toutes les impressions que le gouvernement voudra et saura lui donner.

6o Ces réflexions doivent faire applaudir aux sages restrictions que le roi a mises, par son édit de 1749, à la liberté de faire des fondations nouvelles. Ajoutons qu’elles ne doivent laisser aucun doute sur le droit incontestable qu’ont le gouvernement d’abord dans l’ordre civil, puis le gouvernement et l’église dans l’ordre de la religion, de disposer des fondations anciennes, d’en diriger les fonds à de nouveaux objets, ou mieux encore de les supprimer tout à fait. L’utilité publique est la loi suprême, et ne doit être balancée ni par un respect superstitieux pour ce qu’on appelle l’intention des fondateurs, comme si des particuliers ignorants et bornés avaient eu droit d’enchaîner à leurs volontés capricieuses les générations qui n’étaient point encore ; ni par la crainte de blesser les droits prétendus de certains corps, comme si les corps particuliers avaient quelques droits vis-à-vis de l’État. Les citoyens ont des droits, et des droits sacrés pour le corps même de la société ; ils existent indépendamment d’elle ; ils en sont les éléments nécessaires, et ils n’y entrent que pour se mettre, avec tous leurs droits, sous la protection de ces mêmes lois qui assurent leurs propriétés et leur liberté. Mais les corps particuliers n’existent point par eux-mêmes, ni pour eux ; ils ont été formés pour la so-