Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/46

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craindre le fanatisme et le combat perpétuel des superstitions et de la lumière ; il faut craindre le renouvellement de ces sacrifices barbares qu’une terreur absurde et des horreurs superstitieuses ont enfantés chez des peuples ignorants. Il faut une instruction publique répandue partout, une éducation pour le peuple qui lui apprenne la probité, qui lui mette sous les yeux un abrégé de ses devoirs sous une forme claire, et dont les applications soient faciles dans la pratique… »

Mais la protection dont il s’agit ici n’est pas celle que le catholicisme entendait et entendra toujours se faire attribuer. Quoique profondément imbu de l’importance du sentiment religieux, Turgot ne s’en dissimulait pas les écarts ; et s’il lui donnait pour cortège, comme un grand écrivain de nos jours[1], « l’esprit de discipline, les bonnes mœurs, les œuvres de charité, le dévouement aux hommes jusqu’au sacrifice, » il y comprenait également « les ignorances, les superstitions, les faiblesses d’esprit, les routines de la pensée, les crédulités pieuses, les nuages, les ténèbres, les fantômes de l’enfance, du temps, vieux vêtements du passé, dont les cultes n’aiment pas à se dépouiller, parce qu’ils font partie de leur respect et de leur crédit sur l’imagination des peuples. » Aussi le philosophe du dix-huitième siècle ajoute-t-il :

« La société peut choisir une religion pour la protéger, mais elle la choisit comme utile et non comme vraie ; et voilà pourquoi elle n’a pas le droit de défendre les enseignements contraires : elle n’est pas compétente pour juger de leur fausseté ; ils ne peuvent donc être l’objet de ses lois prohibitives ; et, si elle en fait, elle n’aura pas le droit de punir les contrevenants : je n’ai pas dit les rebelles, il n’y en a point où l’autorité n’est pas légitime. »

Pratiquement, Turgot demande l’indépendance absolue des prêtres de toutes les religions, dans l’ordre spirituel. Il veut, en outre, que chaque village ait son curé ou le nombre de ministres nécessaires à son instruction, et que la subsistance de ces ministres soit assurée indépendamment de leur troupeau,

  1. M. de Lamartine, l’État, l’Église et l’Enseignement.