Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/473

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III. L’Espagne aurait-elle été dépeuplée par les colonies qu’elle a envoyées en Amérique, si l’on n’eût porté dans la Nouvelle-Espagne que des marchandises fabriquées dans l’ancienne ?

IV. Puisqu’un si grand nombre de Français, d’Anglais, de Hollandais, d’Italiens, etc., sont aujourd’hui employés à fabriquer tout ce qui est nécessaire pour l’approvisionnement des Indes espagnoles, l’ancienne Espagne ne serait-elle pas couverte d’hommes si cette multitude d’artisans y avait été transplantée avec leurs femmes et leurs familles ?

V. Si le travail reçoit un accroissement subit dans une ville, le peuple n’y afflue-t-il pas de toutes les parties du royaume à proportion de cet accroissement ? Le même bien n’aurait-il pas lieu pour tout un royaume, si l’on permettait aux étrangers de s’y établir ?

VI. Mais si, au contraire, on refusait de les admettre, cette augmentation de travail ne s’éloignerait-elle pas de la ville ou du royaume dont nous parlons pour se fixer dans un autre où la main-d’œuvre serait à plus bas prix ? Des statuts, des gênes et des prohibitions sont-elles capables d’empêcher cet effet ? Les Espagnols, instruits à leurs dépens de cette vérité, ne s’efforcent-ils pas à présent de réparer leur faute en attirant chez eux des étrangers ? Et les Anglais ne semblent-ils pas, au contraire, se plonger dans les mêmes erreurs ?

VII. N’est-il pas au contraire de la prudence de tenir toujours dans l’État deux portes ouvertes, l’une pour envoyer aux colonies tous ceux qui, par quelque raison que ce soit, veulent s’y transplanter, et l’autre pour recevoir dans le royaume toutes les personnes qui désirent de vivre parmi nous ?

VIII. Si quelques personnes parmi nous, après avoir été imprudentes ou malheureuses, veulent d’elles-mêmes se retirer dans des lieux où leur conduite passée ne soit point connue, ou si l’ambition en pousse d’autres à chercher fortune dans les pays étrangers, n’est-ce pas une excellente politique d’ouvrir à ces aventuriers le chemin de nos colonies plutôt que de les laisser passer chez des peuples qui probablement sont nos rivaux ?