Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/51

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mais la province tout entière. Parmi les fléaux qui désolaient les campagnes, il fallait encore compter la milice. Le service militaire, dans lequel Turgot voyait avec raison la plus lourde des charges qui pèsent sur le peuple, et qu’il croyait possible autrement que par l’emploi de la force, qui n’accuse dans le pouvoir que le mépris de la justice et de l’humanité, offrait alors, entre autres abus, celui qu’on n’y tolérait pas les engagements volontaires. L’administration avait imaginé d’interdire aux communes qu’elles se cotisassent pour fournir des remplaçants libres à ceux de leurs membres qui étaient atteints par le sort. Cette tyrannie gratuite avait pour effet, non de diminuer, mais d’accroître la répugnance pour le métier de soldat. L’époque du tirage amenait ainsi, chaque année, la désertion périodique d’une partie des jeunes gens dans chaque paroisse ; et il s’ensuivait des rixes sanglantes, de village à village, pour garder ou ramener les fuyards. Turgot mit fin à ce désordre, en repoussant l’intervention des communes dans l’exécution de la loi, en l’appliquant lui-même avec l’impartialité la plus sévère, et surtout en obtenant du ministère de ne pas exécuter les articles des ordonnances contraires au remplacement[1].

En 1770 et 1771, la nature vint contrarier le cours des bienfaisantes opérations de ce grand administrateur. Le Limousin, pays montagneux, où l’état arriéré de l’agriculture concourait avec l’infertilité du sol pour réduire la masse du peuple à se nourrir de blé noir, de maïs et de châtaignes, fut affligé de deux disettes successives. Alors se réveillèrent tous les vieux préjugés contre la libre circulation des grains. Les cours souveraines et les magistrats municipaux, dont l’ignorance en économie politique égalait celle de la multitude, tentèrent d’exhumer, de la poussière de leurs greffes, une foule de dispositions à l’aide desquelles, au lieu de mieux assurer la subsistance publique, on ne produisait que l’effet contraire, en gênant l’action du commerce, en s’opposant à

  1. Voyez Lettre au ministre de la guerre sur la milice tome II, p. 115 ; et, dans cette lettre, le cas que faisait Turgot des tirades d’éloquence débitées en l’honneur de la gloire militaire (p. 124).