Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/514

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et un débouché à des bois qui n’en avaient point. Il suit de là qu’à mesure que les bois deviennent rares, à mesure qu’ils acquièrent de la valeur par de nouveaux débouchés, par l’ouverture des chemins, des canaux navigables, par l’augmentation de la culture, de la population, la fonte et la fabrication des fers doivent être moins lucratives et diminuer peu à peu. Il suit de là qu’à proportion de ce que les nations sont plus anciennement policées, à proportion des progrès qu’elles ont faits vers la richesse et la prospérité, elles doivent fabriquer moins de fer et en tirer davantage des étrangers. C’est pour cela que l’Angleterre qui, de toutes les nations de l’Europe, est la plus avancée à cet égard, ne tire d’elle-même que très-peu de fer brut, et qu’elle en achète beaucoup en Allemagne et dans le Nord, auquel elle donne une plus grande valeur en le convertissant en acier et en ouvrages de quincaillerie. Le commerce des fers est assigné par la nature aux peuples nouveaux, aux peuples qui possèdent de vastes forêts incultes, éloignées de tout débouché, où l’on trouve un avantage à brûler une immense quantité de bois pour la seule valeur des sels qu’on retire en lessivant leurs cendres. Ce commerce, faible en Angleterre, encore assez florissant en France, beaucoup plus en Allemagne et dans les pays du Nord, doit, suivant le cours naturel des choses, se porter en Russie, en Sibérie et dans les colonies américaines, jusqu’à ce que, ces pays se peuplant à leur tour, et toutes les nations se trouvant à peu près en équilibre à cet égard, l’augmentation du prix des fers devienne assez forte pour qu’on retrouve de l’intérêt à en fabriquer dans le pays même où l’on eh avait abandonné la production, faute de pouvoir soutenir la concurrence des nations pauvres. Si cette décadence du commerce des forges, suite de l’augmentation des richesses, des accroissements de la population, de la multiplication des débouchés du commerce général, était un malheur, ce serait un malheur inévitable qu’il serait inutile de chercher à prévenir. Mais ce n’est point un malheur, si ce commerce ne tombe que parce qu’il est remplacé par d’autres productions plus lucratives. Il faut raisonner de la France par rapport aux autres nations, comme on doit raisonner des provinces à portée de la consommation de Paris, par rapport aux provinces de l’intérieur ; certainement les propriétaires voisins de la Seine ne regrettent pas que leurs bois aient une valeur trop grande pour pouvoir y établir des forges, et ils se résignent sans peine à acheter