Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/541

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taxe locale ou de passage, n’engage point le commerce à se détourner de sa route pour se constituer en frais inutiles, mais moindres que ceux qu’il veut éviter. Enfin l’impôt réparti proportionnellement sur le revenu des terres n’est point injuste : toujours demandé à celui qui peut payer, il n’est point accablant. Il a gage dans la valeur de la propriété. Une fois connu et réglé, il n’entre ni dans les achats, ni dans les ventes, ni dans les héritages ; les terres se transmettent avec cette charge qui devient un domaine public une fois concédé pour toujours et lié à tous les autres domaines, quoiqu’en étant très-distinct. Puisqu’on ne l’a vendu ni acheté, il ne coûte plus rien à personne. Le citoyen est tranquille, les travaux sont libres : tous les ressorts de l’administration sont simples, ses résultats clairs, ses moyens doux.

Il n’en est pas de même lorsque l’impôt, établi sur le travail ou sur les consommations, n’est payé qu’indirectement par les propriétaires. Le journalier qui n’a que ses bras, le pauvre qui n’a point de travail, le vieillard, l’infirme, ne peuvent vivre sans payer l’impôt ; c’est une avance qu’il faut bien que les propriétaires leur remboursent ou en salaires ou en aumônes ; mais c’est une avance du pauvre au riche dont l’attente est accompagnée de toutes les langueurs de la misère. L’État demande à celui qui n’a rien, et c’est contre celui qui n’a rien que sont dirigées immédiatement toutes les poursuites, toutes les rigueurs qu’entraîne la perception de cet impôt. C’est sur l’homme à qui son travail ne procure que le plus étroit nécessaire, qui est par conséquent le plus violemment tenté de se soustraire au payement des droits par la fraude, et qui est en même temps exposé aux peines sévères par lesquelles il a fallu l’intimider, à la ruine totale qui en est souvent la suite, à celle de sa famille, quelquefois à la captivité, aux supplices.

Le gouvernement, lorsqu’il impose un droit sur une marchandise, ignore ce qu’il lève sur les peuples. La connaissance toujours vague qu’il se procure de la consommation actuelle ne peut l’éclairer sur les variations dont cette consommation est susceptible, sur la moindre consommation qui résultera de l’impôt même, sur l’accroissement de la fraude excitée par un plus grand intérêt ; il ignore si la rupture de l’équilibre établi entre les valeurs des différentes denrées n’influera pas sur le commerce des marchandises même qu’il n’a point voulu taxer. Il ignore si telle ou telle taxe n’affai-