Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/554

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prises qui ne l’étaient pas ; d’augmenter à proportion la somme des entreprises et des produits.

De tous les emplois de l’argent, celui qui exige le moins de peine de la part des capitalistes, c’est le prêt à rente ; le second dans cet ordre de la commodité est l’acquisition des terres ; mais celui-ci est le premier dans l’ordre de la sûreté. Il n’y a que l’espérance d’un profit plus considérable qui puisse engager le possesseur d’un capital en argent à l’employer dans des entreprises incertaines et laborieuses. Le taux de l’intérêt de l’argent prêté est donc la première mesure donnée, le paramètre (si j’ose ainsi parler) d’après lequel s’établit la valeur vénale des fonds et les profits des avances dans les entreprises de culture, d’industrie et de commerce. Il est inutile de déclamer contre les rentes et leurs inutiles possesseurs : tant que cet emploi de l’argent, c’est-à-dire tant que le besoin d’emprunter existera, il aura la préférence, parce qu’il est dans la nature des choses qu’il l’ait. Ce n’est que le surplus qui peut servir à vivifier, par les avances, les entreprises laborieuses. C’est le lit du Nil, qui doit nécessairement se remplir avant que l’inondation se répande sur les campagnes et les fertilise. Il ne faut pas se plaindre que l’eau coule dans ce lit, car la loi de la pesanteur l’y détermine nécessairement. Il faut encore moins se plaindre de ce que les eaux se sont accumulées, car sans cette accumulation les campagnes ne seraient point arrosées. Le vrai mal est que le lit soit creusé au point d’absorber la plus grande partie des eaux ; le mal est que le gouvernement, par ses emprunts multipliés, présente sans cesse à l’argent un emploi que le possesseur trouve avantageux, et qui est stérile pour l’État ; le mal est que, par cette opération ruineuse, il concoure avec le luxe des particuliers pour soutenir l’intérêt de l’argent à un prix haut en lui-même, et plus haut que chez les nations étrangères. Mais ce mal une fois existant, ce n’est pas moins un bien que les possesseurs ou les copartageurs du revenu de l’État ne le dépensent pas tout entier, et en réservent chaque année pour le convertir en capital, puisque le bas intérêt de l’argent et toutes ses conséquences avantageuses résultent de la quantité de capitaux offerts par les prêteurs comparée avec la quantité de demandes des emprunteurs. Si la totalité du produit net avait été dépensée chaque année sans aucune réserve, jamais la masse des avances, je ne dis pas de la grande culture, mais de la culture la plus faible, n’aurait pu se former ; jamais ces