Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/564

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cent francs, ce lin est richesse et a sans doute, comme toute autre richesse, son utilité ; mais ii est évident qu’il ne donne aucun revenu ni pour le propriétaire, ni pour l’État. Le cultivateur a retiré exactement sa nourriture et son vêtement, c’est-à-dire le salaire indispensable de son travail ; mais le champ n’a pas produit de revenu. Le cultivateur ne donnerait pas un sou au propriétaire d’un pareil champ pour avoir la permission de le cultiver ; car il ne pourrait prendre ce qu’il donnerait que sur son nécessaire physique. Par la même raison, l’État ne peut rien retirer de ce champ, ni rien demander au cultivateur sans lui ôter de son nécessaire, et le réduire par conséquent à l’impossibilité de travailler. Si tous les champs d’un royaume étaient cultivés de cette manière, il est évident que l’État ne pourrait lever aucun impôt ; non parce qu’il n’y aurait aucune richesse, mais parce qu’il n’y aurait aucun revenu, aucune richesse disponible ; parce que, la totalité de la production annuelle étant affectée au nécessaire physique de celui qui fait produire, tout ce qu’on pourrait prendre anéantirait la culture et la reproduction de l’année suivante.


Il est très-vrai qu’à considérer les choses d’une manière vague, la subsistance du cultivateur faisant partie des frais, moins le cultivateur consomme pour lui-même et plus il reste de produit net. Il est certain que, si un fermier portait des habits de velours et sa femme des dentelles, il faudrait que cette dépense se retrouvât sur le produit de la terre en diminution de la portion du propriétaire. Mais il ne s’ensuit nullement que la misère du cultivateur augmente le produit net. Il est au contraire démontré que les richesses des entrepreneurs de culture ne sont pas moins nécessaires que le travail même pour tirer de la terre une production abondante, puisque les plus fortes avances donnent les plus forts produits. Comme la fertilité de la terre est bornée, il y a sans doute un point où l’augmentation des avances n’augmenterait pas la production à proportion de l’augmentation des frais ; mais jusqu’à présent on est bien loin d’avoir atteint cette limite, et l’expérience prouve que là où les avances sont les plus fortes, c’est-à-dire là où les cultivateurs sont les plus riches, là est non-seulement la plus grande production totale, mais là sont les plus grands produits nets.

La production étant supposée la même, plus la part du cultiva-