Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/578

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ment impossible de connaître exactement le profit que chaque particulier peut faire, les contrôleurs fixèrent à l’aveugle, et par conséquent assez modérément le taux de chaque particulier. La difficulté de vérifier chaque année ces rôles avec un petit nombre de contrôleurs, fit négliger de remplacer les cotes qui s’éteignaient par mort ou cessation de commerce, et cette imposition diminua d’année en année. À la fin, quelques directeurs s’avisèrent, dans plusieurs généralités, de fixer le montant du vingtième de l’industrie de chaque ville d’après les rôles actuels, et d’en abandonner la répartition aux marchands assemblés en présence du subdélégué ; cette méthode était contraire aux principes du vingtième, mais ces principes étaient impraticables.

Lors de l’établissement du second vingtième, le Conseil ordonna de supprimer toutes les cotes d’industrie au-dessous de trois livres de premier vingtième, et comme, dans les répartitions faites par les marchands, les principaux, pour rendre leur cote plus légère, avaient multiplié le nombre des petites cotes, la suppression de celles-ci diminua considérablement le produit des vingtièmes d’industrie. Dans la plupart des généralités, on les supprima sur l’industrie de toutes les paroisses de campagne et même de plusieurs petites villes, il est résulté de là que dans l’état actuel, l’imposition du vingtième d’industrie n’est point générale et ne porte que sur les marchands des villes principales ; que la fixation de chacune de ces villes a été faite parle pur hasard, et que le produit en est réduit presque à rien. Je connais des généralités où elle ne passe guère vingt mille francs, et j’entends dire que pour la totalité du royaume elle ne va qu’à neuf cent mille[1]. Comme, suivant le nouvel édit, elle doit être réduite à la moitié, ce sera un objet de 450,000 livres, et en vérité cela ne vaut pas la peine qu’il faudrait se donner pour mettre quelque règle dans cette imposition.

Si l’on suit la fixation actuelle des villes où elle est établie, on laissera subsister une répartition très-inégale ; et comment s’y prendrait-on pour la changer ? Je n’en sais rien. Quand la chose serait possible, cette imposition serait encore mauvaise et contraire à tous les bons principes, par cela seul qu’elle porterait sur l’industrie. C’est une erreur bien grossière de s’imaginer que l’industrie soit taxée à la décharge des propriétaires de terres. Il est au contraire démontré que l’industrie ne subsistant que de salaires, et ces salaires ne pouvant être payés que par les propriétaires des terres, parce qu’eux seuls ont un véritable revenu, ceux-ci payent véritablement tout ce qu’on s’imagine faire payer à l’industrie[2]. Les salaires de l’industrie sont toujours réglés par deux mesures communes, le prix de la journée de l’ouvrier et l’intérêt de l’argent. Il faut que le simple ouvrier vive ; il faut

  1. Voyez la note précédente.
  2. Il serait peut-être plus exact de dire que toutes les taxes sur l’industrie ne sont, en réalité, que des impôts de consommation, qui retombent principalement sur les simples travailleurs. La part qu’en acquittent les propriétaires et les capitalistes, ils la retrouvent, la plupart du temps, en élevant le fermage ou le taux des profits, tandis qu’il faut des circonstances exceptionnelles pour que l’ouvrier puisse hausser le salaire. Mais ce qu’il y a de certain, c’est que l’impôt, quelle que soit sa nature, n’enrichit personne (exception faite, bien entendu, de ceux qui vivent sur son produit ou auxquels il procure un monopole), et que, par conséquent, toutes les classes de la société, propriétaires, capitalistes et hommes de travail, ont le plus grand intérêt à la modération des charges publiques. (E. D.)