Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/717

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éprouvera en 1770 tous les maux qu’entraîne la disette. Les grains sont augmentés dès le moment de la moisson, et le prix a haussé encore depuis : il a été vendu des seigles à 16 livres 10 sous le setier de Paris, et l’augmentation semble devoir être d’autant plus forte, que les pluies menacent de rendre les semailles aussi difficiles que l’année dernière.

On a d’autant plus lieu de craindre une augmentation excessive, que la cherté des transports dans ce pays montueux, où ils ne se font qu’à dos de mulet, rend les secours qu’on peut tirer des autres provinces très-dispendieux et très-lents, et que le seigle, dont les habitants de la province font leur nourriture, ne supporte pas le haut prix des voitures, qui augmente sa valeur ordinaire dans une proportion beaucoup plus forte que celle du froment. Le même accroissement dans le prix du transport, qui n’augmenterait le prix du froment que d’un tiers, augmenterait celui du seigle de la moitié. D’ailleurs, le seigle a aussi très-mal réussi dans les provinces voisines, qui souffriront cependant un peu moins que le Limousin, parce qu’elles recueillent plus de froment, mais qui ne pourront subvenir à ses besoins.

Le mal serait un peu moins grand si les pluies venaient à cesser ; il le serait toujours assez pour rendre les peuples fort malheureux et pour exiger une très-grande diminution dans les impositions, d’autant plus que le haut prix des bestiaux, qui avait soutenu les recouvrements dans les deux années qui viennent de s’écouler, paraît d’un côté devoir baisser par la cessation des causes particulières qui l’avaient produit, et dont une des principales a été la disette des fourrages en Normandie, de laquelle est résultée la vente forcée d’un plus grand nombre de bœufs normands, et que, de l’autre, l’argent que ce commerce apportait dans la province sera nécessairement absorbé pour payer les grains qu’elle tirera du dehors, devenus nécessaires à la subsistance des habitants.

En ces tristes circonstances, la province n’a d’espérance que dans les bontés du roi. Les titres qu’elle a pour les obtenir et que nous venons d’exposer sont :

1o La surcharge ancienne qu’elle éprouve.

2o La masse des arrérages cumulés pendant la guerre, dont-elle reste encore chargée, et dont elle ne peut espérer de s’acquitter qu’autant