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le gouvernement pourrait tirer des impôts d’un peuple qui n’a pas le nécessaire physique pour subsister.

Tel est le résultat du cruel tableau qu’on est forcé de mettre sous les yeux du Conseil[1].


LETTRE À M. L’ABBÉ TERRAY[2].

Limoges, le 9 mars 1771.

Monsieur, en répondant le 31 janvier à la lettre que j’avais eu l’honneur de vous écrire le 15 décembre précédent, au sujet de l’emploi des 80,000 francs destinés à établir des travaux publics pour le soulagement des pauvres, vous avez bien voulu me faire espérer d’écouter les représentations que je vous annonçais sur les besoins de cette province et sur la modicité de la diminution qui lui a été accordée.

Je vais donc, monsieur, vous les exposer avec d’autant plus de confiance, qu’il me semble que les circonstances qui paraissaient, à la fin de l’automne, pouvoir mettre des bornes à la bienfaisance du roi pour cette malheureuse province, sont devenues aujourd’hui beaucoup plus favorables ; puisque, d’un côté, l’événement de la négociation entre l’Espagne et l’Angleterre paraît devoir rassurer

  1. M. Turgot n’obtint que 260,000 livres de moins-imposé, et la prolongation d’un fonds de 80,000 francs pour les travaux de charité, qui furent particulièrement employés à faciliter les routes de la montagne.

    Il continua ses sacrifices personnels, et son exemple en fit continuer d’autres. Le commerce s’était monté. Appelés par le haut prix, les approvisionnements ne cessèrent pas d’avoir lieu. Les seigneurs, éclairés par les événements de l’année précédente, sentirent la nécessité de ne pas abandonner leurs colons, et firent les plus grands efforts, employèrent les dernières ressources pour les aider. Les provisions particulières, que l’effroi avait conseillées à tous les particuliers encore un peu aisés au moment de la récolte, se trouvèrent plus considérables qu’on ne l’avait cru. La récolte des grains un peu moins mauvaise que les années précédentes, et la bonne apparence, qui ne fut pas trompeuse, de celle des châtaignes et des grosses raves, fit refluer l’excès de ces provisions, des familles les moins dénuées, sur celles qui n’avaient pu en faire. La misère ne cessa point, et ne pouvait cesser ; mais il n’y eut pas famine.

    Cependant, les récoltes étaient encore fort au-dessous de l’année commune ; et l’année aurait pu passer pour très-malheureuse, si on ne l’eût comparée à celle entièrement désastreuse à laquelle elle succédait. (Note de Dupont de Nemours.)

  2. Cette lettre forme un supplément aux Observations qui précèdent, et à l’Avis sur la taille de 1771. (E. D.)