Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/100

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la condition que le grain fût bon et marchand. Malheureusement, soit que le correspondant de La Rochelle ait mal connu l’état de la cargaison, soit que le grain ne fût pas encore aussi échauffé qu’il l’a été depuis, le vaisseau fut envoyé à Charente.

Le correspondant de ce dernier port en envoya sur-le-champ des montres à Limoges. Les négociants chargés de l’approvisionnement trouvèrent le grain trop altéré, et mandèrent qu’ils ne pouvaient s’en charger, et qu’ils laissaient la cargaison au compte du sieur Jauge. Il eût été à souhaiter que le correspondant de Charente eût pris le parti de le faire mettre en grenier et de le faire remuer ; vraisemblablement ce grain, qui n’était encore que médiocrement altéré, se serait assez bonifié pour pouvoir être vendu avec avantage. Mais le correspondant de Charente, sachant que les besoins étaient très-grands à Angoulême, et ne croyant pas le grain assez échauffé pour ne pouvoir être mis en vente, imagina faire le bien du sieur Jauge et des autres intéressés, en le faisant charger sur-le-champ dans des gabarres et partir pour Angoulême. Ce grain resta longtemps sur la rivière, la saison était très-chaude et le temps pluvieux ; ces grains continuèrent de s’échauffer, et, à leur arrivée à Angoulême, la plus grande partie se trouva gâtée au point de ne pouvoir être vendue.

Il est certain que cet envoi fait à contre-temps par le Correspondant de Charente a été, par l’événement, la principale cause de la perte essuyée par le sieur Jauge et ses associés. Ce correspondant agissait à bonne intention. Il ne pouvait pas prévoir la conduite que tiendraient les juges de police d’Angoulême, et en tous cas ni moi, ni les négociants chargés de l’approvisionnement de Limoges, n’avions influé en rien sur le parti qu’il prit à cet égard. Ni eux, ni moi, n’avions pris non plus aucun engagement avec le sieur Jauge d’acheter sa cargaison que dans la supposition où elle serait marchande. Ainsi, l’on ne peut douter qu’à la rigueur la perte ne dût retomber en entier sur le sieur Jauge et ses associés, propriétaires de la cargaison. La seule considération que ceux-ci pussent faire valoir, était que le correspondant auquel les grains avaient été adressés à Charente, et qui les avait envoyés à Angoulême, leur avait été indiqué par les négociants de Limoges, et qu’ils n’auraient jamais pensé à envoyer ce vaisseau à Charente, pouvant l’envoyer à Nantes ou à Bordeaux, sans l’invitation que je leur avais faite.