Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/12

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Avec cette fixité de principes qui le caractérisait, Turgot comprit que, dans cette difficile conjoncture, il avait trois devoirs essentiels à remplir : maintenir la liberté du commerce des grains, devenue loi de l’État par l’édit de 1764 ; assurer aux pauvres un travail qui leur permît d’acheter les subsistances ; et forcer l’égoïsme à ne pas méconnaître l’obligation morale d’alléger les souffrances du prochain. L’historique officiel de son active énergie, sous ce triple point de vue, est dans l’ensemble des documents énumérés plus haut.

Malgré l’édit de 1764, on n’avait encore pu se faire, en France, à l’idée de la liberté du commerce des grains. Aussi, dès que la cherté se manifestait quelque part, rien n’était-il plus commun que de voir le peuple, et même les officiers de police qui voulaient capter sa bienveillance, s’emparer des grains qui traversaient une partie du territoire pour se rendre dans une autre où la cherté était plus grande, et où il était plus nécessaire encore, par conséquent, qu’ils fussent expédiés. Les propriétaires et les marchands étaient exposés à des insultes, à des taxations de prix, à des ordres de vendre au rabais, qui occasionnaient leur ruine, qui appelaient sur eux la fureur populaire, et qui les engageaient à cacher leurs récoltes au lieu d’approvisionner les marchés. Turgot, qui s’opposait dès 1765 à la pratique d’un tel système[1], ne le toléra pas davantage en présence de la disette de 1770.

Il fit casser, par le Conseil, un arrêt du Parlement de Bordeaux qui défendait aux propriétaires de grains de les vendre ailleurs que sur les marchés, et leur imposait f obligation de les approvisionner, en quantité suffisante, chaque semaine.

Des rassemblements populaires ayant voulu s’opposer à la libre circulation des grains, il en prévint le retour par une simple ordonnance.

Il réprima, par la même voie, un semblable abus d’autorité de la part des officiers municipaux de la ville de Turenne, et fit en outre citer à la barre du Conseil, pour y rendre compte de sa conduite, le lieutenant de police d’Angoulême, qui avait imité cet exemple.

Mais, en se livrant à ces mesures de nécessité rigoureuse, l’habile et vertueux administrateur ne perdait pas de vue ses autres devoirs.

  1. Voyez Lettre aux officiers de police des villes ayant des marchés de grains, tome 1er, page 664.