Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/163

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C’est une entreprise nouvelle à former : s’ils ont encore des fonds, rien ne s’oppose à ce qu’ils les emploient ; ils auront l’avantage d’être instruits par leurs fautes. S’ils sont ruinés, il n’est avantageux ni pour eux, ni pour l’État, de leur assurer le droit exclusif de faire une entreprise au-dessus de leurs forces.

Il ne faut pas s’imaginer que ce droit exclusif fût une ressource avec laquelle ils pussent réparer leurs pertes ; il ne vaudrait exactement pour eux que ce qu’il vaudrait dans le commerce, s’il était à vendre. Or, il est certain qu’il ne se vendrait pas fort cher. L’entreprise d’une mine suppose trois choses : de très-gros capitaux pour les dépenses inséparables de ce genre d’exploitation ; l’industrie d’un habile mineur, capable de diriger les travaux de la manière la moins coûteuse et la plus profitable ; enfin, la possession du terrain qui renferme le filon, ou la faculté d’y creuser. Or, de ces trois choses, la dernière est certainement celle qui vaut le moins ; à peine mériterait-elle d’entrer en considération dans la totalité des dépenses à faire pour l’exploitation d’une mine. — On sent bien qu’un entrepreneur, qui sait que par la nature de son entreprise il sera obligea risquer d’avance de très-gros capitaux, sans pouvoir être assuré d’aucun bénéfice, n’achètera pas bien cher la permission de faire une tentative qui pourra également le ruiner ou l’enrichir. C’est par cette raison que, dans les pays où il est libre à chacun de fouiller les mines dans son terrain, l’existence d’une veine métallique sous un héritage ne le fait pas vendre plus cher, et ne forme, pour le propriétaire, qu’une richesse presque nulle. — Ce ne serait donc pas un grand avantage, pour une compagnie qui se serait ruinée par le défaut d’intelligence ou d’économie dans l’exploitation d’une mine, que d’en conserver le privilège exclusif ; et ce serait un désavantage pour l’État, qui peut toujours espérer que des entrepreneurs plus habiles exploiteront la même mine avec un succès plus heureux.

Je ne parle pas du cas où les entrepreneurs auraient échoué dans leurs recherches, parce qu’ils se seraient livrés à leur entreprise sur de fausses espérances. Il est bien évident qu’ils ne pourraient imputer qu’à eux-mêmes la perte de leurs frais, et qu’une concession, fût-elle perpétuelle, ne leur serait d’aucune utilité.

Toutes ces réflexions prouvent que la concession accordée aux entrepreneurs d’une mine ne diminue que très-peu l’incertitude du succès ; cette incertitude est dans la nature des choses. Les entrepre-