Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/167

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

foule de biens, mais le gouvernement ne défend ni ne doit défendre de s’exposer volontairement à un risque incertain et léger pour éviter une misère certaine.

Reste donc le danger, que ces petites exploitations, lorsqu’elles sont abandonnées, ne deviennent un obstacle à une exploitation plus avantageuse ; mais ce danger est bien exagéré, et peut-être entièrement nul : les puits abandonnés se comblent, à la vérité, ou se remplissent d’eau, mais comme presque toutes les entreprises de mines, couronnées par le succès, ont été faites à la suite de tentatives antérieures qui n’avaient point réussi, et comme ces premiers travaux, bien loin d’avoir nui aux derniers, paraissent au contraire les avoir facilités, j’en conclus qu’il est peut-être moins coûteux de se servir des puits et des galeries déjà faites, ou d’en faire écouler les eaux, que de pratiquer de nouvelles ouvertures ; ces eaux ne font pas plus de mal aux filons que celles qui s’amassent naturellement, et je suis bien convaincu que ces faibles inconvénients n’ont arrêté l’exploitation d’aucune mine ; d’ailleurs, quand ils seraient de quelque importance, ce serait un mal nécessaire qu’il faudrait souffrir, parce qu’il est impossible de l’empêcher. On n’aurait jamais connu l’existence de la plupart des mines, si les propriétaires qui ont aperçu dans leur champ les traces de quelques veines ne s’étaient avisés d’y fouiller, et n’y avaient été engagés par la vente des matières. Si pour les découvrir il fallait que des hommes préposés à cet effet parcourussent toutes les parties du royaume pour en chercher les indices, et fissent ouvrir la terre partout où ils en apercevraient, pour vérifier leurs soupçons, ils dépenseraient des sommes immenses, et le plus souvent ils ne trouveraient rien. C’est donc par le succès des petites exploitations que les riches entrepreneurs sont avertis de l’existence des mines ; le gouvernement l’ignore tant que personne n’a d’intérêt à exciter son attention, et il ne l’apprend que lorsqu’on lui en demande la concession : or, alors il n’est plus temps de prévenir le prétendu inconvénient des petites exploitations ; le mal est fait, si on peut l’appeler, mal, et je demande s’il n’est pas absurde de représenter comme un obstacle à l’exploitation des mines en grand, une chose sans laquelle il serait impossible que jamais personne eût songé à exploiter aucune mine.

Je suis bien trompé si je n’ai pas démontré la frivolité de tous les prétextes par lesquels on a prétendu prouver que les mines ne pou-