Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/204

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Le moyen employé par ces ennemis du peuple a été de l’exciter partout au pillage, en affectant de paraître ses défenseurs. Pour les séduire, les uns ont osé supposer que les vues du roi étaient peu favorables au bien de ses peuples, comme s’il avait jamais séparé son bonheur de celui de ses sujets, et comme s’il pouvait avoir d’autre pensée que celle de les rendre heureux.

Les autres, affectant plus de respect, mais non moins dangereux, n’ont pas craint de répandre que le roi approuvait leur conduite, et voulait que le prix des blés fût baissé, comme si Sa Majesté avait le pouvoir et le moyen de baisser à son gré le prix des denrées, et que ce prix ne fût pas entièrement dépendant de leur rareté ou de leur abondance.

Un de leurs artifices les plus adroits a été de semer la division entre les différentes classes de citoyens, et d’accuser le gouvernement de favoriser les riches aux dépens des pauvres : tandis qu’au contraire il a eu pour but principal d’assurer une production plus grande, des transports plus faciles, des provisions plus abondantes ; et, par ces divers moyens, d’empêcher tout à la fois la disette de la denrée, et les variations excessives dans les prix, qui sont les seules causes de la misère.

Projets destructeurs supposés au gouvernement, fausses inquiétudes malignement exagérées, profanation des noms les plus respectables, tout a été employé par ces hommes méchants pour servir leurs passions et leurs projets ; et une multitude aveugle s’est laissé séduire et tromper : elle a douté de la bonté du roi, de sa vigilance et de ses soins, et par ses doutes elle a pensé rendre ces soins inutiles, et tous les remèdes vains et sans effet.

Les fermes que le brigandage a pillées, les magasins qu’il a dévastés, étaient une ressource toute prête pour les temps difficiles, et assuraient les moyens de subsister jusqu’à la récolte.

Si l’on continue de priver l’État de cette ressource, de piller les Voitures sur les chemins, de dévaster les marchés, comment se flatter qu’ils seront garnis, que les grains n’enchériront pas davantage, que la denrée, dissipée, interceptée et arrêtée de toutes parts, ne finira pas par manquer aux besoins ? Si les blés sont montés à des prix trop élevés, ce n’est pas en les dissipant, en les pillant, en les enlevant à la subsistance des peuples, qu’on les rendra moins chers et plus communs.