Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/248

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pour la simple suppression des corvées, ni même pour leur remplacement en argent, si ce remplacement n’était imposé que sur les taillables ; car les taillables étant depuis longtemps assujettis à la corvée, sans réclamations de la part des tribunaux, ce n’eût été qu’un simple changement de forme pour adoucir une charge toujours subsistante. Dans quelques généralités, on avait ainsi converti la corvée en argent sans loi enregistrée[1].

Mais c’eût été laisser subsister une très-grande injustice en faisant supporter toute la dépense des chemins aux seuls taillables. La justice exige que cette dépense soit supportée par les propriétaires des terres qui en profitent presque seuls, et par conséquent par les privilégiés qui possèdent une grande partie des propriétés foncières du royaume. Or, pour leur faire partager cette charge, il faut une loi nouvelle.

Votre Majesté paraît être depuis longtemps convaincue de la nécessité de supprimer les corvées : j’ose l’assurer, d’après l’expérience des maux que cette charge a faits dans la province que j’ai administrée, qu’il n’en est pas d’aussi cruelle pour le peuple. Une chose doit faire sentir combien elle est en elle-même odieuse, c’est qu’on n’a jamais osé établir cette forme de travail dans les environs de Paris, où l’on s’est borné à exiger des fermiers quelques voitures pour le transport des matériaux[2] ; espèce de corvée moins fâcheuse dans un pays où les terres s’exploitent avec des chevaux, que dans

  1. Il est vrai que la corvée avait été convertie en plusieurs endroits en abonnements en argent ; mais ces abonnements étaient volontaires.

    Il est vrai que la corvée avait été établie sans édit ; mais elle n’était regardée que comme un secours de travail pour suppléer à l’insuffisance des fonds des ponts et chaussées.

    Il est certain qu’en y substituant une contribution forcée en argent, il est plus régulier de donner un édit. Toutes les ordonnances de nos rois portent qu’il ne sera fait aucune levée de deniers, si ce n’est en vertu de lettres-patentes enregistrées. (Note du garde des sceaux.)

  2. La véritable raison qui a empêché d’établir la corvée des bras dans la généralité de Paris, est que Paris, étant le centre des communications, est environné d’une plus grande quantité de grandes routes que toutes les autres villes ; que par conséquent la généralité de Paris est plus coupée qu’aucune autre par de grandes routes ; qu’elles sont toutes pavées, ce qui se fait à plus grands frais que les chaussées ferrées de cailloux, et que la corvée des bras aurait pris aux corvéables une grande partie de leur temps, ce qu’il n’était pas possible d’exiger. D’ailleurs, le pavé ne peut être fait que par des ouvriers paveurs élevés à ce métier.

    Mais les corvées en voitures étaient plus considérables que le Mémoire ne le laisse entendre. (Note du garde des sceaux.)