Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/276

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de la corvée est la déclaration que fera le roi de ses sentiments dans le préambule de l’édit. Mais, si l’on n’a point à craindre ce rétablissement, j’ose dire que le divertissement des fonds ne devient plus qu’une affaire de nom. En effet, que la guerre arrive : il faut bien que l’on suspende toute construction de chemin pour se réduire aux simples entretiens. Alors l’administration peut prendre deux partis : l’un, de continuer l’imposition et d’appliquer aux dépenses de la guerre l’excédant des fonds qu’on cesserait d’employer aux chemins ; l’autre, d’augmenter d’autant les impositions extraordinaires dont toute guerre nécessite l’établissement.

J’observe d’abord que ces deux partis sont au fond indifférents aux peuples qui, dans les deux cas, payent la même somme, et à qui la dénomination de l’impôt ne fait rien. Je ne pense pas qu’on puisse objecter la difficulté d’établir un impôt nouveau ; cette difficulté est toujours nulle dans les temps de guerre, où la nécessité impérieuse entraîne et surmonte tout.

Mais, si le choix entre ces deux partis est indifférent pour le peuple dans la réalité, comme il ne l’est pas dans l’opinion, comme le changement de destination des fonds des chemins inquiéterait, indisposerait le public, et présenterait un fondement très-évident aux murmures et aux représentations, un ministre serait le plus maladroit des hommes, s’il préférait ce parti au parti tout aussi facile et plus honnête de se procurer les mêmes fonds par une imposition nouvelle ; il se rendrait odieux et s’avilirait en pure perte.

On dit que l’on a détourné plusieurs fois les fonds ordinaires des ponts et chaussées : cela est très-vrai ; mais on compare ici deux circonstances qui ne se ressemblent point, et dont l’une ne conclut rien pour l’autre. L’argent destiné aux ponts et chaussées fait partie de la masse totale des impositions versées au Trésor royal. Pour la détourner, il ne faut que suspendre le versement dans la caisse des ponts et chaussées, il ne faut qu’un mot ; tout se passe entre le contrôleur-général et l’intendant des finances, qui est le seul à s’en plaindre.

Suite des observations du garde des sceaux. — M. Trudaine n’ignorait certainement pas qu’une imposition employée à des dépenses éloignées, dont les peuples ignorent l’emploi, afflige les particuliers qui la payent, et qu’une contribution dont le produit est dépensé sur les lieux mêmes et sous les yeux de ceux qui la payent, en travaux dont ils recueillent l’avantage, les console. Mais il savait qu’il n’était pas possible que l’imposition des ponts et chaus-