Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/299

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temps qui reste. Ainsi l’ouvrage qui se fait coûte au peuple et à l’État, en journées d’hommes et de voitures, deux fois et souvent trois fois plus qu’il ne coûterait s’il s’exécutait à prix d’argent.

Ce peu d’ouvrage exécuté si chèrement est toujours mal fait. L’art de construire des chaussées d’empierrement, quoique assez simple, a cependant des principes et des règles qui déterminent la manière de former l’encaissement, de choisir et de poser les bordures, de placer les pierres suivant leur grosseur et leur dureté, suivant la nature de leur composition qui les rend plus ou moins susceptibles de résister au poids des voitures ou aux injures de l’air. De l’observation attentive de ces règles dépendent la solidité des chaussées et leur durée ; et cette attention ne peut être espérée, ne peut donc être exigée des hommes que l’on commande à la corvée, qui tous ont un métier différent, et qui ne travaillent aux chemins qu’un petit nombre de jours chaque année. Dans les travaux payés à prix d’argent, l’on prescrit aux entrepreneurs tous les détails qui tendent à la perfection de l’ouvrage. Les ouvriers qu’ils choisissent, qu’ils instruisent, qu’ils surveillent, font de la construction des chemins leur métier habituel, et le savent ; l’ouvrage est bien fait, parce que, s’il l’était mal, l’entrepreneur sait qu’on l’obligerait à le recommencer à ses dépens. L’ouvrage fait par la corvée reste mal fait, parce qu’il serait trop dur d’exiger des malheureux corvoyeurs une double tâche, pour réparer des imperfections commises par ignorance. Il en résulte que les chemins sont moins solides et plus difficiles à entretenir.

Il est encore une autre cause qui rend les travaux d’entretien faits par corvée beaucoup plus dispendieux.

Dans les lieux où les travaux se font à prix d’argent, l’entrepreneur chargé d’entretenir une partie de route veille continuellement sur les dégradations les plus légères ; il les répare à peu de frais au moment qu’elles se forment et avant qu’elles aient pu s’augmenter ; en sorte que la route est toujours roulante et n’exige jamais de réparations coûteuses. Les routes, au contraire, qui sont entretenues par corvées, ne sont réparées que lorsque les dégradations sont assez sensibles pour que les personnes chargées de donner des ordres en soient instruites. De là il arrive que ces routes, formées communément de pierres grossièrement cassées, étant d’abord très-rudes, les voitures y suivent toujours la même trace, et creusent des ornières qui coupent souvent la chaussée dans toute sa profondeur.