Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/346

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Quoique cette nouvelle saline ne soit pas encore entièrement construite, et que Sa Majesté n’en puisse encore tirer les avantages

    versée dans la caisse des communautés, elle a été employée à rembourser les emprunts qu’elles ont été obligées de faire pour les besoins de l’État : cette ressource, dont on a peut-être fait un usage trop fréquent, mais toujours utile dans des circonstances urgentes, sera fermée désormais à Votre Majesté, et les revenus publics en souffriront eux-mêmes une diminution très-considérable ; car, d’un côté, les riches marchands, après avoir souffert un préjudice considérable dans leur trafic par l’augmentation de ceux qui s’adonneront au même commerce, ne seront plus en état de payer la même capitation, et d’un autre côté, la plus grande partie de ceux qui viendront partager leur bénéfice ne seront point en état d’acquitter la capitation, dont il faudra décharger les anciens maîtres en raison de la diminution de leur commerce.

    « Nous ne parlons point à Votre Majesté ni de la difficulté du recouvrement de cette même capitation, ni de la surcharge des dettes de l’État, par l’obligation que Votre Majesté contracte d’acquitter les dettes de toutes les communautés. Les inconvénients en tout genre que nous avons eu l’honneur de présenter à vos yeux détermineront sans doute Votre Majesté à prendre une nouvelle résolution plus favorable au commerce et aux différents corps qui l’exercent depuis si longtemps et avec tant de succès.

    « Ce n’est pas, sire, que nous cherchions à nous cacher à nous-mêmes qu’il y a des défauts dans la manière dont les communautés existent aujourd’hui ; il n’est point d’institution, point de compagnie, point de corps, en un mot, dans lesquels il ne se soit glissé quelques abus. Si leur anéantissement était le seul remède, il n’est rien de ce que la prudence humaine a établi qu’on ne dût anéantir, et l’édifice même de la constitution politique serait peut-être à reconstruire dans toutes ses parties.

    « Mais, sire, Votre Majesté elle-même ne doit pas l’ignorer, il y a une distance immense entre détruire les abus et détruire les corps où ces abus peuvent exister. Les communautés d’arts et métiers, qu’on a engagé Votre Majesté à supprimer, en sont un exemple frappant. Elles ont été établies comme un remède à de très-grands abus ; on leur reproche aujourd’hui d’être devenues la source de plusieurs abus d’un autre genre ; elles en conviennent, et la sincérité de cet aveu doit porter Votre Majesté à les réformer, et non à les détruire.

    « Il serait utile, il est même indispensable d’en diminuer le nombre. Il en est dont l’objet est si médiocre que la liberté la plus entière y devient en quelque sorte de nécessité. Qu’est-il nécessaire, par exemple, que les bouquetières fassent un corps assujetti à des règlements ? Qu’est-il besoin de statuts pour vendre des fleurs et en former un bouquet ? La liberté ne doit-elle pas être l’essence de cette profession ? Où serait le mal quand on supprimerait les fruitières ? Ne doit-il pas être libre à toute personne de vendre les denrées de toute espèce qui ont toujours formé le premier aliment de l’humanité ?

    « Il en est d’autres qu’on pourrait réunir, comme les tailleurs et les fripiers ; les menuisiers et les ébénistes ; les selliers et les charrons ; les traiteurs et les rôtisseurs ; les boulangers et les pâtissiers ; en un mot, tous les arts et métiers qui ont une analogie entre eux, ou dont les ouvrages ne sont parfaits qu’après avoir passé par les mains de plusieurs ouvriers.

    « Il en est enfin où l’on devrait admettre les femmes à la maîtrise, telles que les brodeuses, les marchandes de modes, les coiffeuses ; ce serait préparer un asile à la vertu, que le besoin conduit souvent au désordre et au libertinage. En diminuant ainsi le nombre des corps, Votre Majesté assurerait un état solide à tous ses sujets, et ce serait un moyen sûr et certain de leur ôter à tous mille prétextes de se ruiner en frais, et de les multiplier avec un acharnement que l’intérêt seul peut entretenir ; et si, après l’acquittement des dettes des communautés, Votre Majesté supprimait tous les frais de réception généralement quelconques, à l’exception du droit royal, qui à toujours subsisté, cette liberté, objet des vœux de Votre Majesté, s’établirait d’elle-