Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/469

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sortes d’erreurs soient excessives ; et, dans l’opération des ateliers de charité, ces erreurs auront beaucoup moins d’inconvénients, parce qu’on pourra toujours s’en apercevoir et les corriger. En effet, le commis conducteur reconnaîtra facilement, au bout de quelques jours, si la tâche qu’il a donnée à une brigade est trop forte ou trop faible ; il verra bien si cette famille a travaillé avec activité, et si son travail lui a procuré de quoi vivre : comme il n’a aucun intérêt à profiter de l’erreur de son calcul, s’il est préjudiciable à l’ouvrier, il diminuera la tâche ou augmentera le prix ; il fera le contraire, si sa première estimation avait été trop forte. Cet arbitraire aura sans doute toujours quelques inconvénients ; mais il faut supporter ceux qui sont inévitables, se contenter de faire passablement ce qu’il n’est pas possible de faire bien.

(22) Il y a certaines natures d’ouvrages, tels que ceux qui consistent en transports de terre, ou en déblais et remblais, dans lesquels on peut parvenir, par une voie assez simple, à régler les tâches. En effet, ces transports de terre se font à la brouette, aux camions ou à la hotte, ou sur des espèces de civières, et à une distance réglée plus ou moins grande ; il ne faut pour les brouettes et les hottes qu’une seule personne, il en faut deux pour les civières et les camions. La tâche de ceux qui portent la terre d’un lieu à un autre est très-facile à régler par le nombre des voyages, à raison de la charge et de la distance plus ou moins grande ; ou, ce qui est la même chose, à raison du nombre de voyages qu’on peut faire par jour, puisque ce nombre dépend de la charge et de la distance, et qu’on peut aisément déterminer par quelques essais combien un homme peut faire de voyages par heure, et combien il peut travailler d’heures par jour sans une fatigue excessive. Il n’est pas moins facile de compter le nombre des voyages ; il suffit pour cela qu’à l’endroit de la décharge il y ait un homme préposé pour donner, à chaque voyage, au manœuvre une marque qui ne servira qu’à cet objet : quand le manœuvre aura gagné un certain nombre de ces marques, qui sera fixé, il les remettra au commis ou conducteur, qui lui fera payer le prix convenu.

(23) Le nombre des ouvriers occupés à transporter les terres au remblai, suppose un nombre proportionné d’ouvriers occupés dans le déblai à couper les terres que les premiers transportent. Les marques données à ceux qui voiturent la terre indiqueront en même temps le travail de ceux qui auront coupé dans le déblai la terre pour charger les hottes ou les brouettes. En effet, supposons qu’un fort ouvrier soit attaché à un déblai, et qu’on l’ait chargé de couper la terre à la pioche, qu’un enfant travaille avec lui à rassembler la terre que le premier a piochée, et à remplir la hotte d’un troisième qui va porter cette terre au remblai ; celui-ci aura reçu autant de marques qu’il aura fait de voyages. Mais il n’aura pas pu faire ce nombre déterminé de voyages, sans que le manœuvre qui a chargé sa hotte, et le terrassier qui a pioché la terre dont cette hotte a été chargée, aient fait chacun de leur côté un travail dont la quantité corresponde exactement au nombre des voyages qu’aura faits le porteur de hotte, et au nombre de marques qu’il aura reçues. On peut donc régler aussi, par le nombre de marques que rend le porteur de la hotte, le salaire de ceux qui ont travaillé à la remplir. Il n’est pas nécessaire que le salaire soit le même pour le même nombre de marques : par exemple, l’ouvrier qui pioche peut avoir à faire un ouvrage plus pénible et qui exige plus de force que le travail de l’enfant qui charge, ou même de celui qui porte la hotte. Rien n’empêche que le premier, pour cent marques