Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/508

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Voilà, sire, un sujet de méditation que les princes doivent avoir sans cesse présent à la pensée.

Mais, sans remonter à ces grands principes, le plus simple bon sens permet-il de croire que les princes puissent avoir quelque droit sur la conscience et le salut de leurs sujets ? Si le sort des hommes pendant l’éternité pouvait dépendre d’autres hommes, ne faudrait-il pas du moins une certitude raisonnable que ceux-ci fussent doués de lumières naturelles ou acquises, supérieures à celles du commun des hommes ? Sans de telles lumières, et même avec elles sans une mission expresse de la Divinité, quel homme pourrait oser prendre sur lui le bonheur ou le malheur éternel d’autres hommes ? Quel homme ne tremblerait d’être chargé d’une pareille mission ?

Celle des rois est de faire le bonheur de leurs peuples sur la terre. Elle est assez noble, assez belle, et leur fardeau est assez pesant pour les forces de quelque homme que ce soit. Celui qui a rempli avec succès cette sublime et laborieuse carrière peut mourir content de lui, et n’a point à redouter le compte qu’il rendra de sa vie. Avec de l’attention, de la droiture, du travail, un prince trouve les lumières et les secours nécessaires pour connaître ce qui est vraiment juste et vraiment utile ; il n’a pas besoin de savoir autre chose.

Il pourra se tromper, et c’est un malheur sans doute, mais ce malheur est une suite inévitable de la nature des choses. Puisqu’il faut un gouvernement, puisque la pire de toutes les situations possibles serait l’anarchie, il faut bien que ce gouvernement soit exercé par des hommes, et conséquemment par des êtres sujets à l’erreur. Il est nécessaire que les hommes, ayant des intérêts communs et opposés, se concertent, qu’ils établissent des sociétés civiles, et qu’ils soumettent leurs intérêts temporels aux administrateurs de ces sociétés. Mais il n’y a aucune nécessité, aucun motif, qui puissent les engagera soumettre l’intérêt de leur salut éternel à des hommes quels qu’ils soient, à des hommes auxquels il n’y a pas le plus léger prétexte, pas la plus légère vraisemblance qui conduise à supposer des lumières supérieures en pareille matière. Sire, je parle à un roi, mais à un roi juste et vrai. Qu’il se demande à lui-même ce qu’il en pense, et qu’il se réponde. — Il y a, dans les différentes Universités et parmi les Ministres des différentes sectes protestantes, des hommes qui, nés avec beaucoup d’esprit, ont blanchi dans l’étude de leur religion, ont lu toute leur vie l’Écriture sainte, ont approfondi toute l’antiquité ecclésiastique ; et,