Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/513

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multipliés, de sorte que la science qui les embrasse, appuyée sur des principes de justice que chacun porte dans son cœur, et sur la conviction intime de nos propres sensations, a un degré de certitude très-grand, et néanmoins n’a que peu d’étendue. Elle n’exige pas une fort longue élude, et ne passe les forces d’aucun homme de bien.

Les droits des hommes réunis en société ne sont point fondés sur leur histoire, mais sur leur nature. Il ne peut y avoir de raison de perpétuer les établissements faits sans raison. Les rois, prédécesseurs de Votre Majesté, ont prononcé, dans les circonstances où ils se sont trouvés, les lois qu’ils ont jugées convenables. Ils se sont trompés quelquefois. Ils l’ont été souvent par l’ignorance de leur siècle, et plus souvent encore ils ont été gênés dans leurs vues par des intérêts particuliers très-puissants, qu’ils ne se sont pas cru la force de vaincre, et avec lesquels ils ont mieux aimé transiger. Il n’y a rien là-dedans qui puisse vous asservir à ne pas changer les ordonnances qu’ils ont faites, ou les institutions auxquelles ils se sont prêtés, quand vous avez reconnu que ce changement est juste, utile et possible. Aucune de vos Cours les plus accoutumées aux réclamations, n’oserait contester à Votre Majesté, pour réformer les abus, un pouvoir législatif tout aussi étendu que celui des princes qui ont donné ou laissé lieu à ces abus que l’on déplore. La plus grande de toutes les puissances est une conscience pure et éclairée dans ceux à qui la Providence a remis l’autorité. C’est le désir prouvé de faire le bien de tous.

Votre Majesté, tant qu’elle ne s’écartera pas de la justice, peut donc se regarder comme un législateur absolu, et compter sur sa bonne nation pour l’exécution de ses ordres.

Cette nation est nombreuse ; ce n’est pas le tout qu’elle obéisse : il faut s’assurer de la pouvoir bien commander, et pour le faire sans erreur, il faudrait connaître sa situation, ses besoins, ses facultés, et même dans un assez grand détail. C’est ce qui serait plus utile que l’historique des positions passées. — Mais c’est encore ce à quoi Votre Majesté ne peut pas espérer de parvenir dans l’état actuel des choses, ce que vos ministres ne peuvent pas se promettre ni vous promettre, ce que les intendants ne peuvent guère plus, ce que les subdélégués, que ceux-ci nomment, ne peuvent même que très-imparfaitement pour la petite étendue confiée à leurs soins.