Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/527

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ne pourraient tolérer cette manœuvre sans se soumettre à répartir entre eux la charge qu’il aurait voulu éviter, ne manqueraient pas de relever l’erreur, et de dire à l’avare : « Vous êtes trop modeste, monsieur ; votre bien vaut tant : jouissez de vos voix. S’il s’élevait contestation sur ce point, elle pourrait être jugée comme tout autre procès relatif à l’impôt. Mais ce serait une instance entre la paroisse et le délinquant, où rien de ce qu’elle pourrait avoir de désagréable ne retomberait sur l’autorité.

Pour assurer d’autant plus la fidélité des déclarations tendantes à la distribution des voix, et par suite à la répartition de l’impôt, on pourrait, sire, y faire concourir une autre loi qui ne paraîtrait pas avoir de rapport direct aux municipalités, mais seulement à la sûreté des créances entre vos sujets. Cette loi rendrait les hypothèques spéciales, et leur donnerait toute la solidité possible, par une disposition qui porterait que, toutes les fois qu’un bien se trouverait engagé pour les trois quarts de sa valeur, les créanciers ou un seul pour tous pourraient le faire vendre sans attendre que le débiteur eût manqué à tenir ses engagements ; en sorte que, dans le cas où un propriétaire aurait souscrit des obligations payables à certains termes, ou constitué des rentes dont les hypothèques grèveraient ses héritages jusqu’à la concurrence des trois quarts, la vente pourrait eu être provoquée, même avant l’échéance des obligations, et quoique les rentes eussent été acquittées sans discontinuation. — Cette loi serait juste ; car un bien pouvant n’être pas vendu à toute sa valeur lorsqu’on le met à l’enchère, ou pouvant être dégradé par un homme qui se ruine, ses créanciers n’auraient point de sûreté dans leurs hypothèques, s’ils n’avaient pas le droit d’exiger la vente lorsque le bien est engagé aux trois quarts. Il s’ensuivrait alors que le propriétaire d’une terre de 40,000 francs qui pourrait avoir trois voix dans sa paroisse, n’oserait se déclarer pour une voix ou une et demie, car la terre n’étant alors estimée qu’environ 20,000 francs, il risquerait pour 15,000 francs de dettes d’être dépouillé de sa propriété ; au lieu qu’en la déclarant fidèlement, il garderait la liberté d’emprunter sans risque jusqu’à 30,000 francs.

Il semble que cette précaution, jointe à l’ambition naturelle de jouir aux assemblées de toutes les voix qu’on pourrait y réclamer, et à l’intérêt qu’auraient les paroisses à n’en laisser prendre à personne