Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/566

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prendrait la place d’un ennemi ; ce serait une voie ouverte pour recevoir, par notre moyen, toutes sortes de marchandises, et se soustraire au monopole de l’Angleterre. Le Canada s’enrichirait et se peuplerait par ce commerce : en lui donnant une administration municipale qui l’attacherait de plus en plus, il se suffirait à lui-même, et ne nous serait plus qu’utile, sans nous rien coûter. Lorsque les colonies anglaises auraient recouvré leur liberté, le pis-aller serait que le Canada devînt aussi moins dépendant, et se gouvernât lui-même sous la protection de la France, ce qui n’aurait aucun inconvénient.

Quoi qu’il en soit de cette idée, je crois toujours pouvoir conclure, de la discussion à laquelle je me suis livré, que la conquête et l’asservissement des colonies anglaises par l’Angleterre serait, de toutes les suppositions qu’on peut faire sur l’événement de cette guerre, celle qui présenterait aux deux couronnes la perspective de la tranquillité la plus longue et la plus solidement établie, puisqu’elle serait fondée sur l’impuissance absolue où serait l’Angleterre de former aucune entreprise. Si ma façon de voir à cet égard est juste, si le succès complet des vues du ministère anglais est précisément ce que la France et l’Espagne peuvent désirer de plus heureux, il en résulte que le projet de ce ministère est le plus extravagant qu’il pût concevoir, et c’est ce dont peu de personnes douteront.

La troisième supposition est que le ministère anglais, battu sur le continent de l’Amérique, cherche un dédommagement aux dépens de la France et de l’Espagne, ce qui effacerait à la fois sa honte, et lui donnerait un moyen de conciliation avec les insurgents auxquels il offrirait le commerce et l’approvisionnement des îles.

J’avoue qu’il me paraît difficile que le gouvernement anglais, succombant dans ses plans hostiles contre les colons, succombant, vraisemblablement, après des efforts pénibles et dispendieux qui auront considérablement affaibli ses moyens, se détermine tout à coup à multiplier ses ennemis, et à former de nouvelles entreprises au moment qu’il aura perdu un point d’appui qui seul en pourrait rendre le succès vraisemblable. Les colons se trouveraient d’autant plus libres d’affermir leur indépendance et de chasser entièrement de chez eux les troupes anglaises. Il est fort douteux qu’ils laissassent tranquillement leurs ennemis faire des conquêtes dans leur voisinage, et plus douteux encore qu’ils les leur laissassent garder, et qu’ils ne cher-