Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/568

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qu’ils voudraient y employer le seront bien plus utilement, et pour la colonie et pour l’homme lui-même, à la culture des terres. Par la même raison, ils devraient être peu jaloux d’ici à longtemps d’avoir une navigation très-active. Cependant ils sont Anglais d’origine ; il est difficile que l’habitude des opinions nationales ne grossisse pas à leurs yeux les avantages de cette branche d’industrie et de forces. D’ailleurs ils auront besoin de vaisseaux pour se défendre contre les gênes que la métropole voudra toujours mettre à leur commerce, même après avoir renoncé à les subjuguer par terre. Jusqu’à ce que leur indépendance ait été solennellement reconnue, ils seront forcés d’avoir une marine pour se défendre, précisément comme les Hollandais, dans la naissance de leur république, ont été obligés de se rendre une grande puissance maritime pour pouvoir résister à l’Espagne. Les colonies anglaises ont déjà une nombreuse marine marchande toute montée, que les colons emploient en partie à leur commerce direct avec la métropole, et même avec le reste de l’Europe, sous quelques restrictions imposées par la métropole. Mais le plus grand et le plus utile emploi de cette marine est le commerce que font les colons anglais avec les îles à sucre de la nation, et même en contrebande avec celles des autres nations.

L’Angleterre fera tous ses efforts pour se conserver le commerce exclusif de ses îles à sucre ; les autres nations voudront peut-être aussi arrêter le cours de la contrebande avec les colonies anglaises ; et l’Angleterre et les autres nations entreprendront en cela une chose impossible. Les colonies à sucre ont, par la nature du sol et de la culture, et par la forme de leur population, une foule de besoins que les côtes de l’Amérique Septentrionale peuvent seules leur fournir, les bestiaux, les bois de chauffage et de charpente, etc. Aucune autre nation ne peut leur fournir à un prix aussi avantageux les denrées les plus nécessaires à la vie, telles que le blé, les farines, et la morue qui sert à la nourriture des esclaves, etc.

Ces mêmes colonies à sucre n’ont, par la nature de leur sol, de leur culture et de leur population, aucun des moyens qu’ont celles du continent septentrional pour entretenir une marine florissante ; elles ne peuvent donc aller chercher elles-mêmes les objets de leurs besoins, elles ont donc le plus grand intérêt à les recevoir des Anglo-Américains, qui ont le plus grand intérêt de les leur apporter. Par quels moyens les métropoles pourront-elles empêcher de deux mille