Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/574

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cue que toute la politique, en fait de commerce, consiste à employer toutes ses terres de la manière la plus avantageuse pour le propriétaire des terres, tous ses bras de la manière la plus utile à l’individu qui travaille, c’est-à-dire de la manière dont chacun, guidé par son intérêt, les emploiera, si on le laisse faire, et que tout le reste n’est qu’illusion et vanité. Lorsque la séparation totale de l’Amérique aura forcé tout le monde de reconnaître cette vérité, et corrigé les nations européennes de la jalousie de commerce, il existera parmi les hommes une grande cause de guerre de moins, et il est bien difficile de ne pas désirer un événement qui doit faire ce bien au genre humain.

Il n’est pas vraisemblable que les Anglais soient les premiers à quitter les préjugés qu’ils ont longtemps regardés comme la source de leur grandeur. En ce cas, il n’est pas possible de douter que leur obstination n’entraîne l’union de leurs colonies à sucre avec celles du continent septentrional.

Dans la position de nos colonies qui, d’un côté, nous coûtent énormément à entretenir et à défendre, auxquelles en même temps nous sommes, de notre aveu, dans l’impossibilité absolue de fournir tous les objets de leurs besoins, puisque nous avons été forcés d’y admettre, sous certaines restrictions, les vaisseaux des autres nations, nous pourrons prendre, avec moins de peine, le parti qu’indiqueront les circonstances ; nous y gagnerons plusieurs millions d’économie, et si, en ouvrant les ports de nos colonies aux vaisseaux étrangers comme aux nôtres, nous acquérons en même temps la liberté entière du commerce et de la navigation avec tout le continent septentrional, nous serons amplement dédommagés, par cette liberté, du sacrifice que nous ferons de l’exclusif de nos îles. La position de l’Espagne, par rapport à ses possessions américaines, sera plus embarrassante. Le commerce entre ses colonies et les colonies anglaises est moins immédiatement fondé sur le besoin que celui des colonies septentrionales avec les îles à sucre. Le climat, le sol, les productions, l’immense étendue des colonies espagnoles, la forme de leur population, sont telles qu’elles trouvent en elles-mêmes la plus grande partie des objets de besoin que les îles à sucre sont obligées de tirer de l’Amérique Septentrionale ; ce sont surtout des marchandises manufacturées que l’on porte d’Europe aux Indes espagnoles ; et jusqu’à présent l’Amérique anglaise n’a pas pu en