Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/576

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pour savoir leur offrir la liberté comme un don, au lieu de se laisser arracher par la force l’empire qu’on ne pourra plus garder.

Rien n’est plus digne de la sagesse du roi d’Espagne et de son Conseil que de fixer dès à présent leur attention sur la possibilité de cette séparation forcée et sur les mesures à prendre pour s’y préparer ; car cette crise peut ruiner la puissance espagnole pour longtemps, et nous jeter dans de grands embarras, par les liaisons intimes qui existent entre les deux cours, si celle de Madrid, au lieu de prendre un parti conforme aux circonstances, se laissait entraîner à des démarches qu’elle ne pourrait soutenir.

Je me suis beaucoup trop étendu peut-être sur les suites de la séparation totale des colonies anglaises ; mais c’est parce que je regarde cet événement comme infiniment probable, et qu’il me paraît important de se familiariser d’avance avec le nouveau plan d’idées qu’on sera forcé d’embrasser alors.

Je passe à la seconde partie du Mémoire de M. le comte de Vergennes, l’examen du danger que peuvent courir nos colonies dans le cas d’une invasion, et des motifs de craindre que cette invasion n’ait lieu.

II. Rien de plus sage que les réflexions que présente M. le comte de Vergennes sur ce danger. Il est très-certain que, si la guerre entre la métropole et ses colonies se terminait par un accommodement prompt, et par conséquent favorable aux colonies, l’Angleterre aurait dans le continent de l’Amérique des forces auxquelles rien ne pourrait résister. Il est certain encore que l’intérêt du ministère nouveau serait d’effacer la honte d’un pareil traité en occupant la nation d’idées flatteuses de conquête. La morale de l’Angleterre, en politique, n’est pas faite pour nous rassurer. Dans cette position, l’état où se trouvent les colonies des deux nations est effrayant. M. de Vergennes regarde la Havane comme le seul point en état de résister quelque temps, encore ne s’exprime-t-il <qu’en doutant ; et les Anglais peuvent avoir eu déjà les succès les plus funestes à la puissance espagnole avant de rien entreprendre sur la Havane. On prétend qu’en cas de guerre, ils ont depuis longtemps formé le plan de diriger leurs premières attaques contre la Martinique et Porto-Rico. Je le croirais assez, vu la position de ces deux îles.

M. de Sartine a remis, l’année dernière, au roi, un Mémoire sur la situation de la Martinique, et sur le peu de forces que cette