Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/597

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d’avoir à parler devant vous de l’utilité de la religion. Montrer ce que lui doivent les hommes et les sociétés, ce sera rappeler aux uns et aux autres la reconnaissance qu’ils doivent aux ministres zélés qui la font régner dans l’esprit des peuples par leurs instructions, comme ils la font respecter par leurs vertus.

Puisse l’esprit de cette religion conduire ma voix ! Puissé-je, en la défendant, ne rien dire qui ne soit digne d’elle, digne de vous, messieurs, et du chef illustre d’un corps si respectable[1] : digne de cet homme qui jouit de l’avantage si rare de réunir tous les suffrages : que Rome, que la France, la cour et les provinces chérissent à l’envi ; dont l’esprit, ami du vrai, prompt à le saisir, aie démêler, semble être conduit par je ne sais quel instinct sublime dune âme droite et pure ; dont l’éloquence naïve plaît et persuade à la fois par le seul charme du vrai rendu dans sa noble simplicité, éloquence préférable à tous les brillants de l’art, et la seule digne d’un homme ; qui enfin toujours bon, toujours simple et toujours grand, ne doit qu’à ses seules vertus cette considération universelle si flatteuse, supérieure à l’éclat même de sa haute naissance et des honneurs qui l’environnent.

première partie. — L’étrange tableau que celui de l’univers avant le christianisme ! Toutes les nations plongées dans les superstitions les plus extravagantes ; les ouvrages de l’art, les plus vils animaux, les passions même et les vices déifiés ; les plus affreuses dissolutions des mœurs autorisées par l’exemple des dieux, et souvent même par les lois civiles. Quelques philosophes en petit nombre n’avaient appris de leur raison qu’à mépriser le peuple et non à l’éclairer. Indifférents sur les erreurs grossières de la multitude, égarés eux-mêmes par les leurs qui n’avaient que le frivole avantage de la subtilité ; leurs travaux s’étaient bornés à partager le monde entre l’idolâtrie et l’irréligion. Au milieu de la contagion universelle, les seuls juifs s’étaient conservé* purs. Ils avaient traversé l’étendue des siècles environnés de toutes parts de l’impiété et de la superstition qui couvraient la terre, et dont les progrès s’étaient arrêtés autour d’eux. C’est ainsi qu’autrefois on les avait vus marcher entre les flots de la mer Rouge suspendus pour leur ouvrir un passage : mais ce peuple même, ce peuple de Dieu par excellence, ignorait la grandeur du trésor qu’il devait donner à la terre. Son orgueil avait resserré dans les bornes étroites d’une seule nation l’immensité des miséricordes d’un Dieu. Jésus-Christ paraît. Il apporte une doctrine nouvelle ; il annonce aux hommes que la lumière va se lever pour eux ; que la vertu sera mieux connue, mieux pratiquée ; le bonheur doit en être la suite. La religion se répand sur la terre, et les hommes plus éclairés, plus vertueux, plus heureux, goûtent et découvrent tout à la fois les avantages du christianisme.

L’Évangile est annoncé : les temples et les idoles tombent sans effort. Leur chute n’est due qu’au pouvoir de la vérité, et l’univers, éclairé par la religion chrétienne, s’étonne d’avoir été idolâtre Les superstitions que l’on quitte sont si extravagantes, qu’à peine ose-t-on faire un mérite à la religion d’une chose où il semble que la raison l’ait prévenue. Cependant, malgré les raisonnements des philosophes et les railleries des poètes, ils subsistaient toujours ces temples et ces idoles. Le peuple, esclave toujours docile à l’empire des sens, suivait avec plaisir une religion dont l’éclat séducteur ne lais>ait pas réfléchir à son absurdité. Lu vain les philosophes l’insultaient. Que met-

  1. Le cardinal de La Rochefoucauld.