Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/661

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On a imité ces Romains qui, lorsqu’un empereur succédait à un autre, ne faisaient qu’abattre la tête du premier, et y substituer celle du second. Mais, dans le temple de la gloire, il y a des places pour tous les génies éminents. On peut ériger une statue à tous ceux qui la méritent.

Entre ces deux puissants génies est arrivé ce qui arrive toujours dans tous les genres ; un grand homme ouvre de nouvelles routes à l’esprit humain. Pendant un certain temps, tous les hommes ne sont encore que ses élèves. Peu à peu cependant ils aplanissent les routes qu’il a tracées ; ils réunissent toutes les parties de ses découvertes, ils rassemblent et inventorient leurs richesses et leurs forces, jusqu’à ce qu’un nouveau grand homme s’élève, qui s’élance, du point où son prédécesseur avait conduit le genre humain, aussi haut que ce prédécesseur l’avait fait de celui d’où il était parti.

Newton n’aurait peut-être pas songé, sans les expériences de Becker, que ses principes le conduiraient à donner à la terre la figure d’un sphéroïde. Le plus grand génie n’est point tenté de creuser la théorie, s’il n’est pas excité par des faits. Rarement les hommes se livrent à des raisonnements. Il y a des gens qui ont besoin de sentir. Il faut un besoin plus impérieux pour oser s’élancer.

On dit que M. Frenicle a soupçonné que la pesanteur qui fait tomber les corps sur la terre retenait les planètes dans leur orbite. Mais, d’une idée si vague et si incertaine, à cette vue perçante, à ce coup d’œil du génie de Newton, qui pénétra l’immensité des combinaisons et des rapports de tous les corps célestes, à cette intrépidité opiniâtre qui n’est effrayée ni de la profondeur du calcul, ni de la beauté et de la difficulté des problèmes, et qui s’élève jusqu’à mettre dans la balance le soleil, les astres, et toutes les forces de la nature, il y a la distance de Frenicle à Newton.

Descartes avait trouvé l’art de mettre les courbes en équation. Huygens, et surtout Newton, ont tout à coup porté le flambeau de l’analyse dans les abîmes de l’infini.

Leibnitz, génie vaste et conciliateur, voulut que ses ouvrages devinssent comme un centre où se réuniraient toutes les connaissances humaines. voulut rassembler en un faisceau toutes les sciences et toutes les opinions. Il voulut ressusciter les systèmes de tous les anciens philosophes, comme un homme qui, des ruines de tous les édifices de l’ancienne Rome, tenterait de bâtir un palais régulier. Il a voulu faire de sa Théodicée comme Pierre de étersbourg.

Nous devons à ces grands hommes l’exemple et les lois de l’analyse dont le défaut avait si longtemps retardé les progrès de la métaphysique, et même ceux de la physique.

On pourrait confondre ces deux sciences sous un rapport général par lequel elles diffèrent des sciences qu’on appelle mathématiques. — Toutes les sciences, sans doute, tirent leur origine des sens. Mais les mathématiques ont cet avantage, que c’est d’une application des sens qui n’est pas susceptible d’erreur.

La nécessité de mesurer les campagnes, aidée de la propriété qu’a* l’étendue d’être mesurée elle-même par rapport au lieu qu’elle occupe, a fait naître les premiers éléments des mathématiques. Les idées des nombres ne sont ni moins simples, ni moins familières ; c’est de ce peu d’idées simples, qu’il est facile de combiner, qu’on a formé les sciences mathématiques, dont tout ce qui est susceptible d’être considéré comme quantité, peut être l’ob-