Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/711

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véritable, est de ne se jamais mêler de leurs divisions. Il n’y a eu des guerres de religions que lorsqu’une secte a été favorisée préférablement à l’autre ; le crédit qu’on lui donne enfle sa vanité, irrite celle des autres, et rend par là la réunion impossible. L’inspection du prince se réduit donc à la tolérance des opinions, et à la vigilance contre les actions nuisibles.

« Mais vous anéantissez l’autorité des Parlements, vous blâmez leur conduite. »

Il s’en faut beaucoup : j’admire la sagesse des Parlements lorqu’ils représentent au roi le sort des malheureux sujets vexés pour leurs sentiments ; je trouve que, puisqu’on a fait de la constitution une loi de l’État, ils doivent être attentifs à son exécution et à ses suites ; je crois même que, si le roi avait quelque droit sur l’administration des sacrements, les Parlements seraient plus à portée que le Conseil de l’exercer. Mais je voudrais que la Constitution ne fût pas une loi de l’État ; que le Parlement, pour se défendre de la regarder comme telle, n’eût pas cherché à prouver qu’elle n’est pas loi de l’Église, comme si ces deux choses étaient liées et inséparables ; je voudrais que le roi laissât aux évêques le soin de disposer des sacrements et des choses spirituelles, sans faire dépendre de leur volonté l’état de ses sujets ; je voudrais, en un mot, qu’une déclaration, dictée par l’esprit de tolérance, laissât aux magistrats la liberté d’être bons juges, sans les obliger à être persécuteurs.

« Cette déclaration, dira-t-on enfin, mécontentera tout le monde : les évêques, à qui le prince paraîtra ne se plus intéresser au soin de la religion ; les Parlements, qui seront privés d’un droit qu’ils s’attribuent ; et les jansénistes qui verront continuer les refus de sacrements dont ils se plaignent. »

J’imagine bien que chaque parti sera d’abord fâché de se voir privé des droits qu’il voulait usurper ; mais, comme il est encore plus doux de ne pas perdre ceux qu’on a et qu’on doit avoir, chaque parti remerciera bientôt le prince de les avoir conservés.

Il y a eu un temps où on aurait pu craindre la façon de penser du clergé ; celui d’aujourd’hui est trop éclairé pour se plaindre quand le roi cessera, je ne dis pas de s’intéresser au sort de la religion qu’il doit respecter, mais de prétendre disposer des choses spirituelles.

Les Parlements, qui ne désirent que la tranquillité des peuples et l’exercice de l’autorité qui leur a été confiée, ne tendront plus à usurper le droit des évêques, quand ceux-ci n’en pourront plus abuser.

Les jansénistes ne demandent qu’à être tolérés ; les louanges qu’ils donnent dans leurs écrits aux principes de la tolérance, celles qu’ils viennent de donner, dans les Nouvelles ecclésiastiques, à l’édit de l’impératrice-reine, dont la sagesse, au lieu de nous détromper, n’excite en nous qu’une admiration stérile ; tout nous assure que les anti-constitutionnaires ne demandent qu’à jouir tranquillement de l’état de citoyen ; ils désirent moins d’être administrés, que de n’être pas persécutés ; ils croient ne mériter aucun refus, et savent que la charité supplée à tout.

Ainsi, loin qu’aucun parti fût mécontent, les évêques remercieraient le roi de les avoir laissés maîtres dans la religion ; les Parlements, de leur avoir confié son autorité ; les jansénistes, de n’avoir plus à craindre ni peines, ni exils, ni prisons : tout le monde, enfin, bénirait un gouvernement aussi sage, dont l’autorité ne serait employée qu’à faire jouir chacun paisiblement des biens pour la conservation desquels elle est établie.