Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/723

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du langage et son premier pas sont d’exprimer les objets, et non les perceptions.

Ce second dessein ne vient à l’esprit que lorsque, dans le sang-froid du retour sur soi-même, la perception elle-même devient à son tour un objet de perception. Cela paraîtra d’autant plus évident, que les premières idées sont des sensations, et que, par l’effet naturel des sensations, nous les rapportons promptement aux objets extérieurs.

Cette observation renverse presque tout l’ouvrage de Maupertuis ; mais j’ai d’autres choses à faire remarquer.

VIII. Mais parmi ce grand nombre de perceptions dont chacune aurait son signe, j’aurais bientôt peine à distinguer à quelle perception chaque signe appartiendrait, et il faudrait avoir recours à un autre langage. Je remarquerais que certaines perceptions ont quelque chose de semblable, et une même manière de m’affecter, que je pourrais comprendre sous un même signe. Par exemple, dans les perceptions précédentes, je remarquerais que chacune des deux premières a certains caractères qui sont les mêmes, et que je pourrais désigner par un signe commun : c’est ainsi que je changerais mes premières expressions A et B en celles-ci, C D, C E, qui ne différeraient des premières que par une nouvelle convention, et répondraient aux perceptions que j’ai maintenant, lorsque je dis : je vois un arbre, je vois un cheval.

VIII. 1o M. de Maupertuis, qui prêche tant qu’il faut remonter aux premiers pas de l’esprit humain, suppose ici un philosophe qui forme un langage de sang-froid : c’est porter l’esprit de système partout. — Comment veut-on me faire concevoir la formation d’un langage qui est né dans la chaleur de la sensation, et qui est un résultat presque forcé du sentiment actuel qui opérait dans divers instants sans suite ?

2o Je ne comprends pas comment, dans une langue parlée, on pourrait substituer ainsi des expressions à d’autres ; cela est bon dans un cabinet : je sais bien que Maupertuis traite cela de supposition, mais il sera bien adroit si, faisant des suppositions tellement opposées à la vérité, il en tire une explication de l’origine des langues.

IX. Tant que les caractères semblables de mes perceptions demeureraient les mêmes, je les pourrais désigner par le seul signe C; mais j’observe que ce signe simple ne peut plus subsister lorsque je veux désigner les perceptions : je vois deux lions, je vois trois corbeaux ; et que pour ne désigner dans ces perceptions, par un même signe, que ce qu’elles ont d’entièrement semblable, il faut subdiviser ces signes, et augmenter le nombre de leurs parties. Je marquerai donc les deux perceptions : je vois deux lions, je vois trois corbeaux, par C G H et C I K, et j’acquerrai ainsi des signes pour des parties de ces perceptions qui pourraient entrer dans la comparaison des signes dont je me servirai pour exprimer d’autres perceptions qui auront des parties semblables à celles des deux perceptions précédentes.

IX. le neuvième article n’est qu’une paraphrase du huitième : ainsi même défaut.

X. Ces caractères H et K, qui répondent à lions et à corbeaux, ne pourront suffire que tant que je n’aurai pointa l’aire la description des lions et des corbeaux ; car si je veux analyser ces parties de perceptions, il faudra encore subdiviser les signes.

XI. Mais le caractère C, qui répond à je vois, subsistera dans toutes les perceptions de ce genre, et je ne le changerai que lorsque j’aurai a designer des perceptions en tout différentes, comme celles-ci : j’entends des sons, je sens des fleurs, etc.

X et XI. Je n’ai rien à dire sur le dixième article.