Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/739

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entre deux nations rapprochées par un commerce quelconque, parce que, de part et d’autre, personne ne voulant se donner la peine d’apprendre une langue étrangère, chacun de son côté en adopte un peu, et cède un peu de la sienne.

7o Lorsque de cette langue primitive plusieurs se sont formées à la fois dans différents pays, l’étude de ces différentes langues, de leurs dialectes, des variations qu’elles ont éprouvées, la comparaison de la manière différente dont elles ont altéré les mêmes inflexions, ou les mêmes sons de la languemère, en se les rendant propres ; celle des directions opposées, si j’ose ainsi parler, suivant lesquelles elles ont détourné le sens des mêmes expressions ; la suite de cette comparaison, dans tout le cours de leurs progrès, et dans leurs différentes époques, serviront beaucoup à donner des vues pour les origines de chacune d’entre elles. Ainsi l’italien et le gascon, qui viennent du latin comme le français, présentent souvent le mot intermédiaire entre un mot français et un mot latin, dont le passage eût paru trop brusque et trop invraisemblable, si on eût voulu tirer immédiatement l’un de l’autre, soit que le mot ne soit effectivement devenu français que parce qu’il a été emprunté de l’italien ou du gascon, ce qui est très-fréquent ; soit qu’autrefois ces trois langues aient été moins différentes qu’elles ne le sont aujourd’hui.

8o Quand plusieurs langues ont été parlées dans le même pays et dans le même temps, les traductions réciproques de l’une à l’autre fournissent aux étymologistes une foule de conjectures précieuses. Ainsi, pendant que notre langue et les autres langues modernes se formaient, tous les actes s’écrivaient en latin, et, dans ceux qui ont été conservés, le mot latin nous indique très-souvent l’origine du mot français, que les altérations successives de la prononciation nous auraient dérobée ; c’est cette voie qui nous a appris que métier vient de ministerium ; marguillier de matricularius, etc. Le Dictionnaire de Ménage est rempli de ces sortes d’étymologies, et le Glossaire de Ducange en est une source inépuisable. Ces mêmes traductions ont l’avantage de nous procurer des exemples constatés d’altérations très-considérables dans la prononciation des mots, et de différences très-singulières entre le dérivé et le primitif, qui sont surtout fréquentes dans les noms des saints ; et ces exemples peuvent autoriser à former des conjectures auxquelles, sans eux, on n’aurait osé se livrer. M. Freret a fait usage de ces traductions d’une branche à une autre, dans sa dissertation sur le mot dunum, où, pour prouver que cette terminaison celtique signifie une ville, et non pas une montagne, il allègue que les Bretons du pays de Galles ont traduit ce mot dans le nom de plusieurs villes par le mot de caër, et les Saxons par le mot de burgh, qui signifie incontestablement ville ; il cite en particulier la ville de Dumbarton, en gallois Caër-Briton ; et celle d’Édimbourg, appelée par les anciens Bretons Dun-Eden, et par les Gallois d’aujourd’hui Caër-Eden.

9o Indépendamment de ce que chaque langue tient de celles qui ont concouru à sa première formation, il n’en est aucune qui n’acquière journellement des mots nouveaux, qu’elle emprunte de ses voisins et de tous les peuples avec lesquels elle a quelque commerce. C’est surtout lorsqu’une nation reçoit d’une autre quelque connaissance ou quelque art nouveau, qu’elle en adopte en même temps les termes. Le nom de boussole nous est venu des Italiens avec l’usage de cet instrument. Un grand nombre de termes de l’art de la verrerie sont italiens, parce que cet art nous est venu de Venise. La minéralogie est pleine de mots allemands. Les Grecs ayant été les