Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/742

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mologistes du dérivé à son primitif. Dans ce genre, rien peut-être ne peut borner les inductions, et tout peut leur servir de fondement, depuis la ressemblance totale, qui, lorsqu’elle concourt avec le sens, établit l’identité des racines, jusqu’aux ressemblances les plus légères ; on peut ajouter, jusqu’au caractère particulier de certaines différences. Les sons se distinguent en voyelles et en consonnes, et les voyelles sont brèves ou longues. La ressemblance dans les sons suffit pour supposer des étymologies, sans aucun égard à la quantité, qui varie souvent dans la même langue d’une génération à l’autre, ou d’une ville à une ville voisine : il serait superflu d’en citer des exemples. Lors même que les sons ne sont pas entièrement les mêmes, si les consonnes se ressemblent, on n’aura pas beaucoup d’égards à la différence des voyelles. Effectivement, l’expérience nous prouve qu’elles sont beaucoup plus sujettes à varier que les consonnes : ainsi les Anglais, en écrivant grâce comme nous, prononcent grêce. Les Grecs modernes prononcent ita et ipsilon, ce que les anciens prononçaient éta et upsilon, et ce que les Latins prononçaient ou, nous le prononçons u. On ne s’arrête pas même lorsqu’il y a quelque différence entre les consonnes, pourvu qu’il reste entre elles quelque analogie, et que les consonnes correspondantes dans le dérivé et dans le primitif se forment par des mouvements semblables des organes ; en sorte que la prononciation, en devenant plus forte ou plus faible, puisse changer aisément l’une en l’autre. D’après les observations faites sur les changements habituels de certaines consonnes en d’autres » les grammairiens les ont rangées par classes relatives aux différents organes qui servent à les former : ainsi le p, le b et l’m sont rangés dans la classe des lettres labiales, parce qu’on les prononce avec les lèvres (voyez au mot Lettres, quelques considérations sur le rapport des lettres avec les organes). Toutes les fois donc que le changement ne se fait que d’une consonne à une autre consonne du même organe, l’altération du dérivé n’est point encore assez grande pour faire méconnaître le primitif. On étend même ce principe plus loin, car il suffit que le changement d’une consonne en une autre soit prouvé par un grand nombre d’exemples, pour qu’on se permette de le supposer ; et véritablement on a toujours droit d’établir une supposition dont les faits prouvent la possibilité.

13o En même temps que la facilité qu’ont les lettres à se transformer les unes dans les autres, donne aux étymologistes une liberté illimitée de conjecturer, sans égard à la quantité prosodique des syllabes, au son des voyelles, et presque sans égard aux consonnes même, il est cependant vrai que toutes ces choses, sans en excepter la quantité, servent quelquefois à indiquer des conjectures heureuses. Une syllabe longue (je prends exprès pour exemple la quantité, parce que ce qui prouve le plus prouve le moins) ; une syllabe longue autorise souvent à supposer la contraction de deux voyelles, et même le retranchement d’une consonne intermédiaire. Je cherche l’étymologie de pinus ; et comme la première syllabe de pinus est longue, je suis porté à penser qu’elle est formée des deux premières du mot picinus, dérivé de pix, et qui serait effectivement le nom du pin, si on avait voulu le définir par la principale de ses productions. Je sais que l’x, le c, le g, toutes les lettres gutturales, se retranchent souvent en latin, lorsqu’elles sont placées entre deux voyelles, et qu’alors les deux syllabes se confondent en une seule qui reste longue : maxilla, axilla, vexillum, texela ; mala, ala, velum, tela.