Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/745

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tre l’esprit dans un repos aussi parlait que le pourrait faire la certitude mathématique elle-même.

Cela posé, voyons ce que fait le critique sur une conjecture ou sur une hypothèse donnée. D’abord il la compare avec le fait considéré, autant qu’il est possible, dans toutes ses circonstances et dans ses rapports avec d’autres faits. S’il se trouve une seule circonstance incompatible avec l’hypothèse, comme il arrive le plus souvent, l’examen est fini. Si au contraire la supposition répond à toutes les circonstances, il faut peser celles-ci en particulier, discuter le plus ou le moins de facilité avec laquelle chacune se prêterait à la supposition d’autres causes ; estimer chacune des vraisemblances qui en résultent, et les compter, pour en former la probabilité totale. — La recherche des étymologies a, comme toutes les autres, ses règles de critique particulières, relatives à l’objet dont elle s’occupe, et fondées sur la nature. Plus on étudie chaque matière, plus on voit que certaines classes d’effets se prêtent plus ou moins à certaines classes de causes ; il s’établit des observations générales d’après lesquelles on exclut tout d’un coup certaines suppositions, et l’on donne plus ou moins de valeur à certaines probabilités. Ces observations et ces règles peuvent sans doute se multiplier à l’infini ; il y en aurait même de particulières à chaque langue et à chaque ordre de mots ; il serait impossible de les renfermer toutes dans cet article, et nous nous contenterons de quelques principes d’une application générale, qui pourront mettre sur la voie : le bon sens, la connaissance de l’histoire et des langues, indiqueront assez les différentes règles relatives à chaque langue en particulier.

4o Il faut rejeter toute étymologie qu’on ne rend vraisemblable qu’à force de suppositions multipliées. Toute supposition enferme un degré d’incertitude, un risque quelconque ; et la multiplicité de ces risques détruit toute assurance raisonnable. Si donc on propose une étymologie dans laquelle le primitif soit tellement éloigné du dérivé, soit pour le sens, soit pour le son, qu’il faille supposer entre l’un et l’autre plusieurs changements intermédiaires, la vérification la plus sûre qu’on en puisse faire sera l’examen de chacun de ces changements, l’étymologie est bonne, si la chaîne de ces altérations est une suite de faits connus directement, ou prouvés par des inductions vraisemblables ; elle est mauvaise, si l’intervalle n’est rempli que par un tissu de suppositions gratuites. Ainsi, quoique jour soit aussi éloigné de dies dans la prononciation, qu’alfana l’est d’equus, l’une de ces étymologies est ridicule, et l’autre est certaine. Quelle en est la différence ? Il n’y a entre jour et dies que l’italien giorno, qui se prononce dgiorno, et le latin diurnus, tous mots connus et usités ; au lieu que fanacus, anacus, aquus, pour dire cheval, n’ont jamais existé que dans l’imagination de Ménage. Cet auteur est un exemple frappant des absurdités dans lesquelles on tombe en adoptant sans choix ce que suggère la malheureuse facilité de supposer tout ce qui est possible : car il est très-vrai qu’il ne fait aucune supposition dont la possibilité ne soit justifiée par des exemples. Mais nous avons prouvé qu’en multipliant à volonté les altérations intermédiaires, soit dans le son, mm t dans la signification, il est aisé de dériver un mot quelconque de tout autre mot donné : c’est le moyen d’expliquer tout, et dès lors de ne rien expliquer ; c’est le moyen aussi de justifier tous les mépris de l’ignorance.

2o Il y a des suppositions qu’il faut rejeter, parce qu’elles n’expliquent rien ; il y en a d’autres qu’on doit rejeter, parce qu’elles expliquent trop. Une étymologie tirée d’une langue étrangère n’est pas admissible, si elle rend