Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/753

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souffre une langue d’une génération à l’autre, et par le seul progrès des temps. Dans ce dernier cas, c’est l’euphonie seule qui cause toutes les altérations. L’enfant naît au milieu de sa famille et de gens qui savent leur langue, il est forcé de s’étudier à parler comme eux. S’il entend, s’il répète mal, il ne sera point compris, ou bien on lui fera connaître son erreur, et à la longue il se corrigera. C’est au contraire l’erreur de l’oreille qui domine, et qui altère le plus la prononciation. Lorsqu’une nation adopte un mot qui lui est étranger, et lorsque deux peuple. ; différents confondent leurs langages en se mêlant, celui qui, ayant entendu un mot étranger, le répète mal, ne trouve point dans ceux qui l’écoutent de contradicteur légitime, et il n’a aucune raison pour se corriger.

19o Il résulte, de tout ce que nous avons dit dans le cours de cet article, qu’une étymologie est une supposition ; qu’elle ne reçoit un caractère de vérité et de certitude que de sa comparaison avec les faits connus, du nombre des circonstances de ces faits qu’elle explique, des probabilités qui en naissent, et que la critique apprécie. Toute circonstance expliquée, tout rapport entre le dérivé et le primitif supposé, produit une probabilité, aucun n’est exclu ; la probabilité augmente avec le nombre des rapports, et parvient rapidement à la certitude. Le sens, le son, les consonnes, les voyelles, la quantité, se prêtent une force réciproque. — Tous les rapports ne donnent pas une égale probabilité. Lue étymologie qui donnerait d’un mot une définition exacte, l’emporterait sur celle qui n’aurait avec lui qu’un rapport métaphorique. Des rapports supposés d’après des exemples, cèdent à des rapports fondés sur des faits connus ; les exemples indéterminés, aux exemples pris des mêmes langues et des mêmes siècles. Plus on remonte de degrés dans la filiation des étymologies, plus le primitif est loin du dérivé ; plus toutes les ressemblances s’altèrent, plus les rapports deviennent vagues et se réduisent à de simples possibilités, plus les suppositions sont multipliées. Chacune est une source d’incertitude : il faut donc se faire une loi de ne s’en permettre qu’une à la fois, et par conséquent de ne remonter de chaque mot qu’à son étymologie immédiate ; ou bien il faut qu’une suite de faits incontestables remplisse l’intervalle entre l’un et l’autre et dispense de toute supposition. Il est bon, en général, de ne se permettre que des suppositions déjà rendues vraisemblables par quelques inductions. On doit vérifier, par l’histoire des conquêtes et des migrations des peuples, du commerce, des arts, de l’esprit humain en général, et du progrès de chaque nation en particulier, les étymologie » qu’on établit sur les mélanges des peuples et des langues ; par des exemples connus, celles qu’on tire des changements du sens, au moyen des métaphores ; par la connaissance historique et grammaticale de la prononciation de chaque langue et de ses révolutions, celles qu’on fonde sur les altérations de la prononciation : comparer toutes les étymologies supposées, soit avec la chose nommée, sa nature, ses rapports et son analogie avec les différents êtres ; soit avec la chronologie des altérations successives, et l’ordre invariable des progrès de l’euphonie ; rejeter enfin toute étymologie contredite par un seul fait, et n’admettre comme certaines que celles qui seront appuyées sur un très-grand nombre de probabilités réunies.

20o Je finis ce tableau raccourci de tout l’art étymologique, par la plus générale des règles, qui les renferme toutes, celle de douter beaucoup. On n’a point à craindre que ce doute produise une incertitude universelle ; il y