Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/760

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plus portés que moi, à lire la Démonstration évangélique, de M. Huet ; l’Explication de la Mythologie, par Lavaur ; les longs Commentaires que l’évêque Cumberland et le célèbre Fourmont ont donnés sur le fragment de Sanchoniaton ; l’Histoire du Ciel, de M. Pluche ; les ouvrages du P. Pezron sur les Celtes ; l’Atlantique, de Rudbeck, etc. Il sera très-curieux de comparer les différentes explications que tous ces auteurs ont données de la mythologie et de l’histoire des anciens héros. L’un voit tous les patriarches de l’ancien Testament, et leur histoire suivie, où l’autre ne voit que des héros suédois ou celtes ; un troisième, des leçons d’astronomie et de labourage, etc. Tous présentent des systèmes assez bien liés, à peu près également vraisemblables, et tous ont la même chose à expliquer. On sentira probablement, avant d’avoir fini cette lecture, combien il est frivole de prétendre établir des faits sur des étymologies purement arbitraires, et dont la certitude serait évaluée très-favorablement en la réduisant à de simples possibilités. Ajoutons qu’on y verra en même temps que, si ces auteurs s’étaient astreints à la sévérité des règles que nous avons données, ils se seraient épargné bien des volumes.

Après cet acte d’impartialité, j’ai droit d’appuyer sur l’utilité dont peuvent être les étymologies, pour l’éclaircissement de l’ancienne histoire et de la fable. Avant l’invention de l’écriture, et depuis, dans les pays qui sont restés barbares, les traces des révolutions s’effacent en peu de temps, et il n’en reste d’autres vestiges que les noms imposés aux montagnes, aux rivières, etc., par les anciens habitants du pays, et qui se sont conservés dans les langues des conquérants. Les mélanges des langues servent à indiquer les mélanges des peuples, leurs courses, leurs transplantations, leurs navigations, les colonies qu’ils ont portées dans les climats éloignés. En matière de conjectures, il n’y a point de cercle vicieux, parce que la force des probabilités consiste dans leur concert ; toutes donnent et reçoivent mutuellement : ainsi les étymologies confirment les conjectures historiques, comme nous avons vu que les conjectures historiques confirment les étymologies ; par la même raison, celles-ci empruntent et répandent une lumière réciproque sur l’origine et la migration des arts, dont les nations ont souvent adopté les termes avec les manœuvres qu’ils expriment. La décomposition des langues modernes peut encore nous faire retrouver, jusqu’à un certain point, des langues perdues, et nous guider dans l’interprétation d’anciens monuments que leur obscurité, sans cela, nous rendrait entièrement inutiles. Ces faibles lueurs sont précieuses, surtout lorsqu’elles sont seules ; mais, il faut l’avouer, si elles peuvent servir à indiquer certains événements à grande masse, comme les migrations et les mélanges de quelques peuples, elles sont trop vagues pour servir à établir aucun fait circonstancié. En général, des conjectures sur des noms me paraissent un fondement bien faible pour asseoir quelque assertion positive ; et, si je voulais faire usage de Vétymologie pour éclaircir les anciennes fables et le commencement de l’histoire des nations, ce serait bien moins pour élever que pour détruire. Loin de chercher à identifier, à force de suppositions, les dieux des différents peuples, pour les ramener à l’histoire corrompue, ou à des systèmes raisonnables d’idolâtrie, soit astronomique, soit allégorique, la diversité des noms des dieux de Virgile et d’Homère, quoique les personnages soient calqués les uns sur les autres, me ferait penser que la plus grande partie de ces dieux latins n’avaient dans l’origine rien de commun avec les dieux grecs ; que tous les peuples assignaient, aux diffé-