Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/830

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tion tacite qu’il s’agit de garder le blé qu’on a, tandis qu’au contraire il s’agit d’en faire venir qu’on n’a pas. La prohibition pourra remplir le premier but ; je le veux. La liberté seule remplira le second.

Il faut, malgré moi, que je sois court, car mon papier finit. Je veux encore vous dire que M. l’abbé de L’Aage ne reçoit aucune réponse à sa seconde lettre. Cet abbé vous recommande certains discours ; il a fait celui de Didon, qui précède sa mort, et qui finit par ces mots : Pugnent ipsique nepotes, ainsi que le morceau suivant : Ut trépida, etc. ; et aussi la comparaison des fourmis. Il vous dit adieu et vous souhaite, avec une bonne santé, toute sorte de bonheur. Je ne serais pas fâché d’avoir Ossian en vers italiens. Mes compliments à M. Melon et à l’abbé Millot.


Lettre VIII. — Au même. (À Limoges, le 5 février 1771.)

Je reçois, mon cher Gaillard, votre lettre du 19 janvier. J’avais déjà fait payer votre hôtesse, et M. de Beaulieu a dû vous le mander. J’écrirai à M. Cornet de prendre l’argent chez M. de Laleu, et je préviendrai Barbou de vos intentions. Il y a quelque temps que je vous ai répondu, ainsi qu’à M. Melon, et je suis étonné que vous n’eussiez ni l’un ni l’autre reçu mes lettres le 19. Peut-être auront-elles été retardées d’un ordinaire par le dérangement que les inondations ont mis dans la marche des courriers. Je vous répondais sur tous les articles ; seulement j’avais, je crois, oublié de vous demander la traduction des poésies d’Ossian en vers italiens. Je ne sais pourquoi vous pensiez que la langue italienne serait peu propre à ce genre ; elle est bien plus souple et bien plus hardie que la nôtre. On m’a envoyé de Genève Il vero Dispotismo ; c’est un livre de l’école de Milan, un traité du gouvernement, où l’on adopte le système des Économistes et de Linguet sur le despotisme, ou sur la monarchie absolue. Vous me donnez grande curiosité de connaître les Éléments de Mathématiques et la Grammaire du P. Venini. De quel ordre est ce religieux ? Je n’entends pas trop quelle est cette analyse qui lui sert à répandre tant de clarté sur les matières qu’il traite. Il m’a toujours semblé que la méthode algébrique n’était point la vraie méthode analytique opposée à la synthèse. La vraie analyse philosophique est, en effet, la manière de procéder la plus propre à éclairer l’esprit, en lui faisant remarquer chacun de ses pas. La méthode algébrique semble, au contraire, vous faire arriver au résultat par une sorte de mécanique qui ne vous laisse pas voir comment vous êtes arrivé : elle produit la certitude sans évidence. Enfin l’algèbre et l’analyse, la géométrie linéaire et la synthèse, ne me paraissent point être la même chose, et je n’ai trouvé nulle part le vrai développement de ces deux méthodes. Le désir de voir si les idées du P. Venini ont quelque rapport avec les miennes augmente mon empressement de connaître ses éléments.

Je ne sais si vous avez vu, dans un journal encyclopédique, l’annonce d’un Mémoire de M. Lambert, de l’Académie de Berlin, qui aurait encore plus directement résolu le problème de la quadrature du cercle, que par la considération des racines de l’équation d’où dépendrait cette quadrature ; puisque, suivant le journaliste, il a démontré l’incommensurabilité de la circonférence avec le rayon. Il a démontré, en général, que tout arc dont la tangente est commensurable avec le rayon, est incommensurable avec ce même rayon, et réciproquement. Or, la tangente de l’arc de 45 degrés est égale au rayon,