Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/176

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joie, inclina légèrement la tête et dit avec un air grave et solennel :

— Merci, mon bon peuple !

Ces paroles, auxquelles on ne s’attendait point, produisirent sur l’assemblée un effet tel que, pendant un quart d’heure, tous les gueux furent en proie à de véritables convulsions épileptiques. Lorsqu’ils eurent recouvré leur sang-froid, l’Hérissé dit d’un ton ferme, mais avec bienveillance :

— Cesse ce jeu, enfant, il n’en peut résulter rien qui vaille. Suis ton caprice, s’il le faut, mais prends un autre nom.

L’étameur cria :

— Fou-Fou Ier, roi des Lunatiques.

Ce fut un succès. Le nouveau titre s’imposait tout d’un coup. Aussi y eut-il un concert de hurlements et de glapissements.

— Longue vie à Fou-Fou Ier, roi des Lunatiques !

— Qu’on le porte en triomphe !

— Qu’on lui mette la couronne !

— Qu’on lui mette le manteau !

— Qu’on lui donne le sceptre !

— Qu’on l’asseoie sur le trône !

Les vingt-cinq gueux avaient formé le cercle autour de l’enfant. Avant qu’il eût pu prendre haleine, il se vit coiffé d’un plat à barbe en étain en guise de couronne, vêtu d’une couverture constellée de trous qui fut son manteau royal, assis sur un tonneau qui lui servit de trône, tandis qu’on lui mettait dans la main, pour faire office de sceptre, la cuiller à souder de l’étameur.

En même temps les gueux avaient fléchi le genou, et se répandant en lamentations ironiques, en supplications railleuses, ils faisaient semblant de s’essuyer