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L’ART

meurs de la rue comme les objurgations, les pressions écrites. Il attendit les résultats de l’Instruction.

Ces résultats furent négatifs. La photographie communiquée par l’ambassade russe, comme étant celle d’Hartmann, offrait peu de ressemblance avec l’inculpé. Le signalement donné de sa personne ne correspondait pas entièrement à la réalité ; enfin les preuves décisives manquaient. Le sentiment du ministre de la justice était que, dans ces conditions, l’extradition ne pouvait être consentie. Il en avisa le Président du Conseil[1], M. de Freycinet, qui s’en expliqua avec le prince Orloff, dès le 29 février. L’ambassadeur insista. Il annonça l’arrivée à Paris d’un jurisconsulte russe, M. Mouravieff, porteur de documents complémentaires.

M. Mouravieff vit le ministre de la justice. Il discuta, deux heures durant, avec M. Cazot, sans réussir à ébranler sa conviction.

Le 6 mars, M. Cazot demanda à ses collègues de refuser l’extradition. À l’unanimité elle fut refusée et l’Agence Havas en informa en ces termes les journaux :

Dans le Conseil des ministres tenu ce matin à l’Élysée, M. le garde des sceaux a saisi le Conseil d’un rapport qu’il avait adressé la veille à M. le Président de la République, concernant l’affaire Mayer-Hartmann.

Ce rapport, s’appuyant sur les résultats de l’information à laquelle il a été procédé par M. le procureur de la République, en conformité de la circulaire ministérielle du 12 octobre 1875, et sur les avis émis le 2 mars courant tant par le chef du parquet du tribunal de première instance de la Seine que par le procureur général près la Cour d’appel de Paris, conclut, comme ces magistrats, que l’identité de l’inculpé et sa participation aux faits qui lui sont reprochés n’étant pas établis, il n’y avait pas lieu à extradition.

Les conclusions du garde des sceaux ont été adoptées par le Conseil des ministres, et la décision a été immédiatement portée à la connaissance de l’ambassadeur de Russie.

À ces renseignements, le Temps ajoutait les suivants :

Le ministre de la justice a ajouté quelques observations personnelles au rapport dont il venait de donner lecture ; il a dit que l’absence même de tout traité d’extradition avec une puissance quelconque devait imposer une circonspection particulière à l’égard des demandes de cette puissance et, sans entrer en aucune manière dans la qualification des faits qu’il acceptait tels qu’ils sont présentés dans la demande d’extradition, il a appuyé les conclusions du procureur de la République et du procureur général.

L’absence des preuves sur laquelle s’appuie le refus d’extradition parait plus naturelle, si on songe qu’en Russie la procédure des jugements par contumace n’est pas organisée.

Ordinairement, l’État qui demande l’extradition communique toutes les pièces de cette procédure, interrogatoires de témoins et autres ; quand il n’y a pas de procédure de contumace, on ne peut communiquer que les pièces préliminaires, qui ne sont pas généralement probantes.

En effet, la législation russe ne permet pas d’instruction régulière contre les contumax. Le gouvernement du Czar témoigna cependant quelque irritation du refus qui lui était notifié. Mais en ne demandant pas à l’Angleterre l’extradition d’Hartmann qui s’y était rendu aussitôt qu’il avait été remis en liberté, il reconnut la correction absolue de l’attitude du gouvernement français.

Dans une circulaire adressée le 16 avril suivant à ses représentants à l’étranger, M. de Freycinet expliqua d’ailleurs que la France ne s’était déterminée que par des considérations juridiques. « L’ambassadeur de l’Empereur à Paris, appelé pour donner de vive voix à sa cour des éclaircissements jugés nécessaires, y disait-il, a apporté, nous n’en doutons pas, à Saint-Pétersbourg, des éléments d’information propres à dissiper ce regrettable malentendu. Nous avons fait, de notre côté, ce qui dépendait de nous pour édifier la chancellerie impériale sur les motifs d’ordre exclusivement légal par lesquels nous avons été guidés dans la circonstance, et nous sommes en droit d’espérer que nos efforts

  1. Le ministère, formé le 18 décembre 1879, était ainsi composé : Président du Conseil et Affaires étrangères, M. de Freycinet ; Justice, M. Cazot ; Intérieur, M. Lepère ; Finances, M. Magnin ; Guerre, Général Farre ; Marine, Vice-amiral Jauréguiberry ; Instruction Publique, M. Jules Ferry ; Travaux Publics, M. Varroy ; Agriculture, M. Tirard ; Postes, M. Cochery.