Page:Véron - Mémoires d’un bourgeois de Paris, tome 1.djvu/143

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Hâtons-nous de dire que le galant homme, l’homme de bien, les cœurs fidèles, généreux, le désintéressement, le courage, l’honneur, la charité, sont aussi de tous les règnes et de tous les temps. Sous tous les règnes et dans tous les temps, il se rencontre en très-grand nombre des familles honnêtes, ignorées, où toutes les vertus font souche et comptent des lignées qui ne s’éteignent jamais.

Le ciel et l’enfer se disputent les âmes dès ce monde.

On vit donc reparaître sous l’empire, malgré 89, et à bien peu de distance de 89, de ces chevaliers à la mode, frères puînés de celui que Dancourt faisait monter sur la scène au mois d’octobre 1687, de ces chevaliers à la mode, songeant d’abord au solide et donnant ensuite dans la bagatelle, recevant d’une madame Patin mille pistoles, et acceptant d’une baronne un fort beau carrosse, deux gros chevaux, un cocher et un gros barbet.

Mon ami Rosman était, dans sa jeunesse, le camarade de dîners et de punchs de quelques gens de lettres ; il me raconta, et je cite ici ses propres paroles, qu’un de nos spirituels auteurs d’opéras-comiques, mort après 1830, vint sous l’empire le trouver un matin et lui annoncer, disait-il, une bonne nouvelle : « Je vais quitter ma vieille ! mon dernier succès a rendu une femme folle de moi. Du troisième étage je descends au premier, et elle me donne un cabriolet. » Et comme ce bon Rosman, à un pareil récit, faisait la grimace, notre auteur lui répondit : « Mais, mon cher, je vis comme tous ces messieurs ! » Ces mœurs-là existaient en haut et en bas de la société, et plus d’un acteur en renom, plus d’un